Chapitre I – Article 1 (ancien article 1 A) du projet de loi. Parmi les nouvelles dispositions issues du projet de loi Création et Internet laissées un peu dans l’ombre des débats largement relayés par les médias, il convient de citer le nouvel alinéa second de l’article L. 132-27 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose désormais que « les organisations représentatives des producteurs, les organisations professionnelles d’auteurs et les sociétés de perception et de réparation des droits mentionnées au titre II du livre III peuvent établir conjointement un recueil des usages de la profession ». Cet alinéa a pour vocation de compléter l’article L. 132-27 dudit Code qui énonçait jusqu’à présent en un alinéa unique que « le producteur est tenu d’assurer à l’œuvre audiovisuelle une exploitation conforme aux usages de la profession ».
Or, cette disposition spécifique au contrat de production audiovisuelle, issue de la loi du 11 mars 1957, imposant une obligation d’exploitation au producteur en des termes différents de ceux, très précis, définissant l’obligation pesant sur l’éditeur (Cf. art. L. 132-12) ne comportait jusqu’à présent aucune définition de ces « usages », non formalisés par ailleurs.
La souplesse du texte dans la définition de l’obligation du producteur audiovisuel présente un avantage certain puisqu’il laisse un large pouvoir d’appréciation au Juge lui permettant de prendre en considération les spécificités de l’économie du secteur audiovisuel, alors que par comparaison, en matière d’édition, notamment musicale, celui-ci voit son office plus strictement encadré par la notion d’exploitation « permanente et suivie » le conduisant parfois à une rigueur bien incompatible avec la réalité de la pratique. Il en est ainsi s’agissant de l’exploitation graphique des œuvres, bien souvent désuète et caduque en pratique, alors que la reproduction numérique et la mise à disposition à la demande se substituent peu à peu à la distribution d’exemplaires physiques.
Avec ce nouvel alinéa inséré à l’article L. 132-27 du Code de la propriété intellectuelle, le législateur ne modifie pas en soi cette approche. Les débats parlementaires font apparaître qu’il a toutefois estimé qu’afin de tenir compte des nouvelles opportunités de diffusion des œuvres audiovisuelles offertes par les services de communication au public en ligne au cœur des débats et au centre de l’avenir, ces usages de la profession devaient faire l’objet d’une définition « rapide » afin de favoriser la circulation des œuvres audiovisuelles (notamment celles dites de « fonds de catalogue » du patrimoine cinématographique français) par leur présence dans les offres légales sur les réseaux numériques de communication et ainsi la rémunération effective des créateurs et des producteurs.
Pour ce faire, le texte nouveau invite à la négociation et à la détermination concertée de ces fameux usages sous forme d’un recueil – et non d’un « code » comme il était initialement envisagé. Précisons que la rédaction adoptée ne comporte plus le délai butoir de huit mois posé à l’origine pour son élaboration afin de ne pas « rigidifier inutilement les relations entre producteurs et auteurs ».
Il n’est pas certain que cet ajout législatif soit d’une réelle portée et d’une grande utilité. Outre que cette nouvelle disposition ne présente qu’un caractère facultatif, et non normatif et s’apparente simplement à une sorte d’invitation du législateur, on peut se demander si la formalisation des usages dans un recueil est adaptée à la réalité et à l’évolution constante des modes d’exploitations des œuvres, notamment dans le monde numérique. N’est-il pas probable que ce recueil sera rapidement en décalage avec la réalité des pratiques ? Il convient également d’observer que l’invitation faite aux sociétés de perception et de répartition des droits d’intervenir dans cette concertation est un peu surprenante, puisqu’on peut s’interroger sur le fondement en vertu duquel ces sociétés civiles participeraient à une telle discussion.
Les professionnels relèveront que l’obligation d’exploiter reste cantonnée aux relations entre l’auteur et l’éditeur ou le producteur et qu’elle ne s’étend pas aux relations avec les interprètes ; l’on peut toutefois penser qu’en cas de publication d’un recueil des usages, les comédiens, comme le réalisateur ou le scénariste puissent s’en prévaloir.
Stéphane CHERQUI