Le retrait par les éditeurs américains de leurs droits numériques de l’ASCAP privé d’effets.

Cour Fédérale du District Sud de l’Etat de New-York, 17 septembre 2013, Pandora c/ ASCAP

Une société américaine fournissant sur Internet un service de radio en streaming a assigné le 1er juillet 2013 l’ASCAP (American Society of Composers, Authors and Publishers). Le litige portait sur l’étendue du répertoire de cette société de gestion des droits d’auteur. La Cour Fédérale du District Sud de l’Etat de New-York a rendu sa décision le 17 septembre 2013.

L’ASCAP, équivalent américain de la SACEM, a pour mission de gérer les droits des auteurs et des éditeurs musicaux qui en sont membres. En application d’une ordonnance administrative de 1941 (modifiée en 2001), l’ASCAP a l’obligation d’accorder des licences portant obligatoirement sur l’ensemble de son répertoire. En contrepartie, l’ASCAP perçoit des redevances dont le taux est fixé dans les contrats ou, à défaut d’accord entre les parties, par un tribunal.

A ce titre, elle avait conclu en 2005 un premier contrat de licence globale avec la société demanderesse, et ce pour une durée de cinq ans. En 2010, cette société avait demandé à l’ASCAP que lui soit accordée une nouvelle licence globale. Les discussions s’engagèrent.

Quelques mois plus tard, l’un des principaux éditeurs de musique avait fait part de sa volonté de retirer la gestion de son catalogue à l’ASCAP. En réponse, l’ASCAP avait indiqué que la possibilité de retrait portait uniquement sur le droit de licence à destination des services de « nouveaux médias », services dont faisaient partie ceux proposés par la société demanderesse.

Une résolution a été adoptée en 2011 et les principaux éditeurs ont alors décidé de retirer la gestion de ce droit de licence à l’ASCAP, cette dernière conservant la gestion de tous les autres droits relatifs à leurs œuvres. Les éditeurs concernés ont ensuite négocié directement avec la société demanderesse des licences prévoyant des taux de redevance généralement plus élevés que ceux fixés dans les licences conclues avec l’ASCAP.

Cependant, la signature des ces accords privés n’a pas stoppé les négociations entre la société demanderesse et l’ASCAP en vue de conclure une nouvelle licence globale.

C’est dans ce cadre que la société demanderesse a assigné l’ASCAP. Elle demande que le retrait du droit de licence sur certaines œuvres n’affecte pas l’étendue du répertoire de l’ASCAP et qu’elle puisse donc continuer à accorder des licences aux services de « nouveaux médias » bien que ce droit lui ait été retiré par certains éditeurs.

La discussion a porté essentiellement sur la notion de « répertoire ». En effet, la décision de la Cour dépendait de la définition qu’elle en retiendrait. L’ASCAP avançait que son répertoire était composé non pas des œuvres en tant que compositions musicales, mais des droits dont elle dispose sur ces œuvres. A l’inverse, la société demanderesse estimait que le « répertoire » était formé par les œuvres en tant que compositions musicales, sans considération des droits détenus ou non.

La Cour accueille favorablement l’argumentation de la société demanderesse. En effet, elle rappelle qu’en vertu de l’ordonnance administrative, le « répertoire » comprend les œuvres pour lesquelles l’ASCAP dispose du droit de licencier le droit de représentation. La Cour estime qu’en application de cette définition, le « répertoire » comprend les œuvres pour lesquelles l’ASCAP dispose de la possibilité de concéder des licences. Selon la jurisprudence antérieure relative à l’ASCAP, le terme « répertoire » est utilisé en référence aux œuvres, et non pas aux droits qui y sont attachés.

La Cour examine ensuite la définition d’une œuvre (« work ») telle qu’elle résulte de l’ordonnance administrative. Elle estime que l’ordonnance ne fait aucune référence aux droits attachés aux « œuvres » et les définit comme toute composition musicale protégée par un copyright.

Enfin, la Cour rappelle que l’ASCAP conserve toujours le droit de licencier les œuvres ayant fait l’objet d’un retrait par leur éditeur pour des services de « nouveaux médias », la licence portant sur les autres types de services et qu’à ce titre, elles sont toujours considérées comme appartenant au répertoire de l’ASCAP.

En conséquence, et au vu de ces éléments, la Cour a estimé que la nouvelle licence accordée à la société demanderesse, qui a pris effet le 1er janvier 2011, n’était pas affectée par le retrait du droit de licence pour les services « nouveaux médias » réalisé postérieurement. La société demanderesse a donc le droit d’utiliser toutes les œuvres présentes dans le répertoire à la date d’effet de la nouvelle licence.

Cette décision est importante en ce qu’elle empêche les éditeurs membres de l’ASCAP de négocier des accords directement avec les diffuseurs, accords grâce auxquels ils pourraient obtenir des redevances plus élevées.

Cependant, la portée de cette décision pour les éditeurs, notamment concernant les taux de redevances applicables aux utilisations de leurs œuvres par la société demanderesse, est à relativiser, étant rappelé que la procédure pour la fixation du taux de redevance applicable à cette licence est actuellement en cours, la société demanderesse et l’ASCAP n’ayant pas réussi à trouver un accord. L’ASCAP peut sans doute être en mesure de démontrer que les conditions négociées par le service directement avec des éditeurs, donc celles résultant du fonctionnement du marché, sont supérieures à celles que ce service tente d’imposer à la société de gestion collective

Adélie THEVENOT

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