Les Rolling Stones et les Beatles, leur renommée et la renommée de leurs marques
CA Paris, Pôle 5, ch.2, 12 avril 2022
Dans une affaire récente en contrefaçon portant sur le logo emblématique des Rolling Stones « Lips n’ Tongue », déposée à titre de marque, (TJ Paris, 21 février 2021, Netcom avril 2021), le tribunal judiciaire de Paris avait retenu la renommée de la marque. Le tribunal avait relevé le lien très étroit existant entre le logo reproduit par les marques et le groupe The Rolling Stones, qui jouit d’une importante célébrité sur le territoire de l’Union, ce lien participant directement à la renommée de la marque notamment pour les produits et services relevant des classes 25 (vêtements) et 41 (divertissements).
Ce lien étroit n’a en revanche pas été jugé suffisant pour établir la renommée de la marque « BEATLES » en dehors des « disques sonores ».
C’est ce qu’a jugé la Cour d’appel de Paris, en confirmant la décision de rejet du Directeur de l’INPI concernant l’opposition formée par la société Apple Corps Limited, titulaire de la marque de l’Union européenne « BEATLES » à l’encontre de la demande d’enregistrement de la marque « THE BEATLES » déposée le 29 décembre 2019 pour désigner des produits et des services dans d’autres classes que celles visées à l’enregistrement de la marque antérieure « BEATLES ».
En effet, sur le fondement de l’article 8 du Règlement (UE) n°2017/1001, le titulaire d’une marque jouissant d’une renommée dans l’Union européenne peut s’opposer à l’enregistrement d’une marque identique ou similaire, indépendamment du fait que les produits ou les services soient identiques, similaires ou non similaires, et lorsque l’usage de la marque contestée, sans juste motif, tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou leur porterait préjudice.
Au soutien de son opposition et en appel, Apple Corps Limited soutenait que la marque « BEATLES » jouit d’une particulière renommée et qu’elle n’est dès lors pas soumise au principe de spécialité, cette renommée suffisant à caractériser le risque de voir le public associer l’image de la marque au signe contesté « THE BEATLES ».
Pour justifier de l’importante renommée de la marque « BEATLES », l’appelante, comme dans l’affaire Rolling Stones, produisait des articles de presse évoquant le succès exceptionnel depuis plus de cinquante ans du groupe mythique les Beatles. Néanmoins, la Cour, confirmant la position du directeur général de l’INPI, juge que la renommée du groupe musical les Beatles ne s’étend pas automatiquement à la marque « BEATLES » et qu’il appartient au titulaire de démontrer qu’elle est connue aux yeux d’une large fraction du public concerné pour les produits visés à l’enregistrement de sa marque ( en l’espèce, les produits de bijouterie, de prêt-à-porter, de matériel audiovisuel, de l’imprimerie et les divers services techniques audiovisuels ou de divertissements), comme indiquant une origine commerciale bien identifiée. Or, selon la Cour, si les nombreuses références à la « Beatlemania » établissent la renommée du groupe les Beatles, elles ne montrent pas que la marque jouit d’un degré élevé de reconnaissance s’agissant des produits ou services pour lesquels la renommée était invoquée. La Cour en conclut que la marque « BEATLES » a acquis une renommée sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne, et particulièrement en France, mais uniquement pour des « disques sonores ».
La Cour considère également que les produits dérivés, pratique commune à la plupart des groupes musicaux à succès, ne permettent pas de conclure à la connaissance de la marque pour l’ensemble des produits invoqués puisque le consommateur appréhendera le signe comme faisant référence au nom du groupe et non comme permettant d’identifier un opérateur économique spécifique.
Les juges d’appel confirment également que le directeur général de l’INPI saisi d’une opposition sur le fondement de la marque renommée n’avait pas à prendre en considération des décisions antérieures sur la renommée de la marque, produites par l’appelante, celles-ci portant sur des espèces différentes ; ce d’autant que la renommée de la marque peut évoluer dans le temps et doit être appréciée au moment où elle est invoquée.
S’agissant des « disques sonores » pour lesquels la renommée de la marque avait été reconnue par le Directeur de l’INPI, la société Apple Corps Limited lui reprochait également d’avoir, dans sa décision de rejet de son opposition, fait application du principe de spécialité et en conséquence d’avoir méconnu la protection élargie conférée à la marque renommée.
La Cour rejette également l’argument en rappelant que l’atteinte à la marque renommée est caractérisée par un usage sans juste motif du signe contesté qui tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de celle-ci ou leur porte préjudice et qu’une telle atteinte est réalisée si le public établit un lien entre la marque antérieure et le signe contesté alors même qu’il ne les confond pas. L’existence de ce lien doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents au cas d’espèce, tels que la nature, la destination, l’utilisation ainsi que le caractère concurrent ou complémentaire des produits ou services en cause, exigeant de les mettre en relation dans le cadre d’une analyse comparative.
Or, en l’espèce, la Cour retient que le titulaire de la marque n’a pas procédé à l’analyse comparative qui lui incombe en s’abstenant de démontrer l’existence d’un lien qui aurait été fait par le public entre, d’une part la marque « BEATLES », renommée pour les « disques sonores », et d’autre part, les produits et services de la demande d’enregistrement contestée. Il n’était donc pas possible, selon la Cour, d’évaluer jusqu’où la renommée de la marque pour les « disques sonores » permettait d’étendre la protection conférée à ladite marque.
La cour rejette le recours du titulaire de la marque et confirme la décision du directeur général de l’INPI de rejet de l’opposition formée par la société Apple Corps Limited sur le fondement de l’atteinte à la marque renommée « BEATLES ».