Décret n° 2022-256 du 25 février 2022 et décret n° 2022-344 du 10 mars 2022 pris pour l’application de l’article 30 de la loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021
L’article L132-27 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que le producteur est tenu de rechercher une exploitation suivie de l’œuvre audiovisuelle, conforme aux usages de la profession c’est-à-dire qu’il doit faire ses meilleurs efforts pour que l’œuvre soit exploitée et puisse être visionnée par le public. Les conditions de mise en œuvre de cette obligation sont définies par voie d’accord professionnel. Cette obligation ne s’impose qu’aux seuls producteurs, Dès lors, si un producteur cède un catalogue d’œuvres audiovisuelles, le cessionnaire ne sera pas tenu par l’obligation d’exploitation suivie.
Afin de remédier à cette situation, la loi du 25 octobre 2021 a introduit un mécanisme de contrôle par le ministre de la Culture du rachat des catalogues audiovisuels des sociétés de production françaises par des entreprises non soumises à l’obligation de recherche d’exploitation suivie. En effet, l’article L261-1 du Code du cinéma et de l’image animée impose désormais une obligation de déclaration préalable six mois avant une cession, ou toute autre opération d’effet équivalent à une cession quant au droit d’exploiter les œuvres, d’une ou de plusieurs œuvres cinématographiques ou audiovisuelles par un producteur soumis à l’obligation de recherche d’exploitation à une personne non soumise à cette obligation.
Cette notification est accompagnée d’un dossier permettant au ministre chargé de la culture de s’assurer que le bénéficiaire de l’opération est en mesure, au regard des moyens humains, techniques, matériels et financiers dont il dispose, de rechercher l’exploitation suivie des œuvres cédées dans des conditions équivalentes à celles résultant de l’application de l’accord professionnel prévu à l’article L. 132-27 du code de la propriété intellectuelle.
A l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la notification, le ministre chargé de la culture peut décider de soumettre l’opération à la Commission de protection de l’accès aux œuvres s’il estime que le dossier de notification ne permet pas de s’assurer du respect de l’obligation de recherche d’exploitation. Au terme d’une procédure d’instruction contradictoire, dans un délai qui ne peut être supérieur à trois mois à compter de sa saisine, la commission se prononce et peut imposer au bénéficiaire de l’opération un certain nombre d’obligations afin d’assurer l’exploitation suivie des œuvres cédées. L’opération est suspendue pendant la durée de cette procédure.
Le producteur cédant qui ne respecterait pas cette obligation de notification s’exposerait à une sanction pécuniaire s’élevant au maximum à 10 % de la valeur des œuvres faisant l’objet de l’opération.
L’objectif affiché de ce dispositif est de participer à la protection de l’accès du public aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles en assurant le respect de l’obligation d’exploitation suivie de celles-ci. Toutefois, un tel dispositif s’avère-t-il réellement efficace et praticable ?
Le Code de la propriété intellectuelle attache l’obligation d’exploitation suivie à la qualité de producteur, si bien que cette obligation n’est pas transmise au sous-cessionnaire. La jurisprudence a pu reconnaitre à l’auteur de l’œuvre audiovisuelle une action directe contre le sous-cessionnaire, par exemple pour garantir le paiement de la rémunération proportionnelle, mais elle ne semble pas l’étendre aux autres obligations du producteur et notamment à l’obligation d’exploiter. N’aurait-il pas été davantage pertinent et efficace d’ouvrir un droit d’action directe des auteurs contre les sous-cessionnaires afin d’assurer cette exploitation ? Ou tout simplement de soumettre par la loi l’acquéreur aux obligations du producteur ?
De plus, si ce dispositif a pour but d’assurer l’exploitation suivie des œuvres cédées, il ne prévoit pour autant aucune sanction en cas de non-respect par le bénéficiaire de l’opération des obligations qui lui sont imposées par la commission de protection de l’accès aux œuvres. Dans l’hypothèse du non-respect de ces obligations, les ayants droit disposent simplement des mêmes voies de recours et, le cas échéant, des mêmes procédures de règlement amiable des différends que celles dont ils peuvent se prévaloir en cas de non-respect de l’accord prévu à l’article L. 132-27 du code de la propriété intellectuelle.
Ce dispositif a été précisé récemment par la publication de deux décrets d’application de la loi du 25 octobre 2021, le décret n° 2022-256 du 25 février 2022 et le décret n° 2022-344 du 10 mars 2022.
Le premier précise notamment la notion d’«opération d’effet équivalent à une cession quant au droit d’exploiter les œuvres», le fonctionnement, ainsi que la composition de la Commission de protection de l’accès aux œuvres.
Le second décret fixe le contenu du dossier de notification.
Au sein de ce dispositif, une mesure retient l’attention : l’article 11 du décret n° 2022-256 du 25 février 2022 retient une conception très extensive de la notion d’opération d’effet équivalent à une cession.
En effet, cette disposition prévoit l’insertion dans le Code du cinéma et de l’image animée de l’article R. 261-1 qui dispose que constitue une opération d’effet équivalent à une cession quant au droit d’exploiter les œuvres toute opération permettant :
– d’acquérir, de manière directe ou indirecte, une ou des œuvres cinématographiques et audiovisuelles, d’un producteur soumis à l’obligation de recherche d’exploitation, notamment par vente de fonds de commerce, transmission universelle de patrimoine, apport partiel d’actifs ou fusion ;
– d’acquérir le contrôle d’un producteur soumis à l’obligation de recherche d’exploitation suivie ;
– ou de disposer, notamment en tant qu’associé ou actionnaire, d’un pouvoir de décision en ce qui concerne les droits de propriété incorporelle et les droits de propriété sur les éléments techniques des œuvres entrant dans le champ de l’accord professionnel prévu à l’article L. 132-27 du code de la propriété intellectuelle.
Par cette mesure, le décret va bien plus loin que son objectif affiché, à savoir tirer les conséquences réglementaires du dispositif de protection de l’accès du public aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles prévu par l’article 30 de la loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021. En effet, il étend la portée de cet article en assimilant à la cession de contrôle d’une société la cession de catalogue d’œuvres audiovisuelles.
Ainsi, désormais, dès lors qu’une opération portant sur le contrôle d’une société de production est envisagée, le producteur devra adresser au ministre de la Culture un dossier détaillant l’opération envisagée sur la partie relative aux œuvres cinématographiques ou audiovisuelles six mois avant la date prévue pour la réalisation de l’opération.
Si cette mesure permet en principe d’assurer qu’une œuvre reste diffusable, elle risque de constituer à minima un frein important à ces opérations, voire d’être la cause de l’échec de projets pourtant nécessaires pour la poursuite de l’exploitation des œuvres, dès lors qu’elle induit une certaine lourdeur administrative et une suspension de l’opération pour un délai de 3 à 6 mois. L’ensemble de ces contraintes pourrait même décourager les cessionnaires de réaliser ce type d’opérations.
Cette extension par décret du dispositif de contrôle du ministre de la Culture est d’autant plus contestable que sa conformité au droit européen est loin d’être certaine, en ce qu’elle pourrait être considérée comme une atteinte disproportionnée au principe de libre circulation.
En conséquence, cette disposition source d’une complexité excessive, en plus d’être inefficace à assurer la protection de l’accès du public aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles, risque d’être nocive pour la production audiovisuelle.
Il aurait sans doute été plus opportun de prévoir de nouvelles aides pour la rénovation des œuvres et de favoriser le développement de sites de mise à disposition d’anciennes productions.
En l’état, ce contrôle des cessions ne s’applique qu’aux catalogues d’œuvre audiovisuelles et ne concerne pas les autres catalogues d’œuvres également soumises à une obligation d’exploitation, comme les catalogues éditoriaux.
Eric Lauvaux et Lucile Tranchard Frayssinhes