Le site « Doctrine.fr », est une plateforme d’intelligence juridique en ligne qui centralise et organise l’information juridique à l’attention des professionnels du droit et des justiciables. Son fonctionnement repose sur une technologie de recherche innovante et sur la mise à disposition des utilisateurs d’une base étoffée de décisions de justice et de commentaires associés. L’éditeur de ce service juridique en ligne est la société Forseti.
Par un jugement rendu le 23 février 2023, le Tribunal de commerce de Paris a validé la licéité de la collecte par la société Forseti des décisions de justice accessibles depuis le site « Doctrine.fr » et a ainsi débouté de leurs demandes plusieurs éditeurs juridiques majeurs (Editions Dalloz, Lexbase, LexisNexis, Lextenso et Wolters Kluwer France).
Ces éditeurs considéraient les pratiques commerciales mises en œuvre sur le marché par la société Forseti comme étant trompeuses, déloyales et parasitaires. Le point de départ de ces critiques était la collecte par la société Forseti pour son site « Doctrine », en un temps extrêmement réduit (2 ans), d’un nombre très élevé de décisions de justice (10 millions), soit une quantité bien supérieure aux décisions de justice que les éditeurs juridiques plaignants étaient eux-mêmes parvenus à réunir (3,6 millions) sur une durée bien plus longue (10 ans).
Au titre de pratiques prétendument trompeuses, les plaignants invoquaient une publicité comparative illicite et des actes de nature à induire en erreur et à tromper le public. Ces griefs ont été rejetés par le Tribunal pour défaut de preuves étayant la surestimation du stock de décisions de justice reprochée par les éditeurs juridiques à la société Forseti. De plus, la dénomination « Doctrine » n’a pas été considérée par les juges du fond comme trompeuse du seul fait qu’elle laisserait supposer que la société Forseti aurait une activité doctrinale.
Au titre de la concurrence déloyale, les mêmes faits prétendument fautifs étaient dénoncés par les éditeurs plaignants qui ont tenté de justifier leur position en arguant de l’utilisation par la société Forseti de « moyens opaques et malhonnêtes » pour la constitution de sa base de données rendant la collecte illicite. Le Tribunal a cependant retenu que l’avantage concurrentiel dont la société Forseti a bénéficié dans la collecte des décisions de justice résultait de son avance technologique, liée à son logiciel libre d’anonymisation des décisions de justice, et que ce procédé ne pouvait pas être qualifié de déloyal. Le Tribunal a, en outre, retenu que la société Forseti s’était vu reconnaître par deux décisions antérieures, rendues par la Cour d’appel de Paris le 18 décembre 2018 et par la Cour d’appel de Douai le 21 janvier 2019, un droit d’accès non discriminatoire aux décisions de justice et qu’il lui appartenait de mettre en oeuvre ce droit dans des « conditions de concurrence loyale ».
Le Tribunal a, également, jugé que les éditeurs juridiques plaignants ne rapportaient pas la preuve de faits délictueux précis, leur affirmation que la volumétrie de la collecte des données par la société Forseti était, par principe, impossible et donc nécessairement illicite, étant insuffisante à caractériser l’illicéité invoquée.
Au titre de la concurrence parasitaire, le Tribunal a retenu l’absence de démonstration de l’existence d’une captation de clientèle par la société Forseti par le biais de l’organisation de son site et de l’utilisation de liens de renvois vers des sources donnant accès à des commentaires des décisions de justice collectées.
Les éditeurs juridiques ont été déboutés de l’intégralité de leurs demandes et se sont vus condamnés, au profit de la société Forseti, aux sommes de 50 000 euros sur le fondement du caractère abusif de la procédure qu’ils avaient initiée à son encontre et de 125 000 euros pour le remboursement de ses frais d’avocat.