Licenciement pour motif économique : périmètre de la motivation
Depuis la Loi du 13 juillet 1973, un licenciement n’est justifié que s’il repose sur une cause légitime. Pour le vérifier, la Loi exige que cette cause soit réelle et sérieuse, et qu’elle soit exposée dans la lettre de licenciement.
La déclinaison de ce principe fondamental a conduit à dégager des jurisprudences bien connues au terme desquelles notamment une absence de motif dans la lettre conduit irréfragablement à un licenciement sans cause réelle et sérieuse. A fortiori, l’absence totale de lettre de licenciement conduit-elle au même résultat. Par extension, un motif imprécis (ou indigent) est également assimilé à une absence de motif. La logique est simple : la lettre de licenciement constitue le document officiel de la procédure qui acte les raisons de la rupture du contrat. L’exercice des droits de la défense et le principe du contradictoire imposent qu’un éventuel débat soit circonscrit et puisse s’exercer autour de faits bien précis – étant précisé qu’en principe la lettre ne peut faire état que des points évoqués lors de l’entretien préalable.
Motiver correctement une lettre de licenciement n’est donc pas qu’une question de pure forme mais bien une exigence de fond puisqu’un défaut en la matière peut vicier la légitimité de la rupture du contrat de travail. Compte tenu de la finalité de la lettre de licenciement, il est compréhensible qu’une motivation trop légère (ou son absence) puisse être ainsi sanctionnée.
S’agissant d’un motif personnel, l’on voit à peu près clairement comment étayer une cause réelle et sérieuse, notamment en matière disciplinaire.
Mais comment ce principe se décline-il en matière de licenciement pour motif économique ? Dans ce domaine, la caractérisation d’une cause réelle et sérieuse impose en effet une démonstration en deux temps. L’employeur doit à la fois exposer le contexte général (difficulté économiques, sauvegarde de compétitivité ou mutations technologiques) puis démontrer le lien direct avec la mesure individuelle (suppression ou modification du poste visé). Du reste, l’article L. 1233-16 du Code du travail pose bien cette exigence de « double » motivation. S’agissant de la première partie de la démonstration, se pose la question du périmètre. En effet, la jurisprudence a
depuis longtemps acté que le motif économique (général) devait être apprécié dans le secteur d’activité visé, y compris au niveau du secteur d’activité du Groupe lorsque la société appartient à un tel ensemble.
Le cas échéant, la lettre de licenciement doit-elle comporter une motivation précisant la situation au niveau du groupe, le Code n’entrant pas dans le détail sur ce point particulier ? Dans un premier temps, la Cour de cassation a répondu par l’affirmative. Ainsi dans un arrêt de 2013, la Cour a sanctionné un employeur qui n’avait évoqué dans la lettre de licenciement aucun élément afférent à la situation des sociétés du groupe entrant dans le périmètre du secteur d’activité visé.
La Haute Cour a en quelque sorte annoncé un revirement par un arrêt du 4 novembre 2015 (11-24611), indiquant qu’il appartenait au juge d’apprécier la légitimité du motif invoqué au niveau du secteur d’activité du groupe, et ce alors même que la lettre ne mentionnait pas les difficultés économiques à ce niveau.
L’arrêt du 3 mai dernier (15-11046) entérine cette position plus souple de la Cour de cassation. Faut-il y voir une dérogation ou un infléchissement du principe général imposant l’exposé des motifs dans la lettre de licenciement ? Pas nécessairement. D’une part il faut rappeler que ce niveau de précision n’est exigé par aucun texte du Code du travail. D’autre part, la jurisprudence admet de façon constante que si un fait est visé dans la lettre, l’employeur est autorisé à le développer en contentieux, au besoin en ajoutant d’autres éléments qui s’y rapportent directement.
En résumé, la lettre ne doit pas être trop elliptique mais la jurisprudence n’exige pas non plus qu’elle soit un énoncé détaillé totalement exhaustif ce qui conduirait inévitablement à des courriers « fleuves » et à imposer un formalisme peut-être extrême.
Quoiqu’il en soit, nous ne saurions trop recommander aux employeurs de viser expressément dans la lettre de licenciement a minima la situation économique des autres sociétés du Groupe relevant du secteur d’activité concerné, quitte à réserver des explications complémentaires pour le contentieux. Tout d’abord pour garantir le respect du contradictoire mais également pour garder à l’esprit qu’à ce jour, c’est bien encore à ce niveau que la légitimité du licenciement doit s’apprécier en amont et sera vérifiée par le Juge en aval.
Virginie DELESTRE