L’arrêt rendu par le Tribunal de l’Union européenne le 1er février 2012 ne manque pas de surprendre en ce qu’il considère, en dépit d’une identité absolue des signes et que celle-ci ne saurait suffire à démontrer la mauvaise foi du déposant.
Les faits de l’espèce n’expliquent pas davantage les raisons qui auraient pu justifier cette décision.
La société Pollo Tropical Inc. a déposé le 25 avril 1994 une marque verbale et une marque figurative « Pollo Tropical Chicken on the Grill » aux Etats-Unis pour des services de restauration. Le 21 octobre 1994, en se prévalant de ce premier dépôt, la société souhaitait déposer ses deux marques en Espagne. Cette demande lui a été refusée suite à l’opposition introduite par M. Gambettola qui avait déjà déposé cette marque figurative, également pour des services de restauration le 20 juin 1994.
La société Pollo Tropical Inc. a déposé le 30 juin 1999 ses deux marques au Royaume-Uni.
M. Gambettola a de son coté, le 22 novembre 2002, présenté une demande d’enregistrement de marque communautaire qui a été enregistrée le 20 avril 2004.
Suite à ce dépôt, M. Gambettola a proposé de céder sa marque communautaire à la société Pollo Tropical Inc pour un montant de 5 millions de dollars.
La société Pollo Tropical Inc a refusé cette proposition et a formé auprès de l’OHMI, le 22 janvier 2007, une demande en nullité de la marque communautaire en invoquant d’une part, un risque de confusion au Royaume-Uni où elle possédait deux enregistrements de marques prioritaires et en faisant valoir, d’autre part, que l’enregistrement avait été demandé de mauvaise foi.
Par décision du 17 mars 2008, la division d’annulation de l’OHMI avait rejeté la demande en nullité au motif que la société Pollo Tropical Inc. n’avait pas apporté la preuve de l’usage de ses marques au Royaume-Uni et de la mauvaise foi du déposant.
Saisie par la société Pollo Tropical Inc., la première chambre de recours de l’OHMI avait entériné la décision de la division d’annulation.
Le Tribunal a également rejeté les demandes de la société Pollo Tropical Inc.
Pour apprécier la mauvaise foi du déposant, le Tribunal reprend les critères dégagés par la Cour de justice de l’Union Européenne dans l’arrêt Lindt (CJUE, 11 juin 2009, aff. C-529/07) tout en les précisant à la lumière des faits de l’espèce.
1-Ainsi, le Tribunal indique que si la mauvaise foi du déposant doit être appréciée au moment du dépôt, rien n’empêche de tenir compte de circonstances antérieures.
A ce titre, le Tribunal relève qu’au moment du dépôt de sa marque espagnole le 20 juin 1994, il n’est pas établi que M. Gambettola avait connaissance de la marque américaine antérieure déposée par la société Pollo Tropical Inc le 25 avril 1994 car, d’une part, cette marque n’avait pas été enregistrée dans un état membre de l’UE et d’autre part, un court délai de deux mois s’était écoulé entre ces deux dépôts.
De plus, même si la date de l’usage de la marque américaine devait être prise en compte (1991) ce seul fait n’était pas suffisant, eu égard à la localisation géographique de la marque, pour présumer de la connaissance de cette marque par M. Gambettola au moment de la demande de dépôt de sa marque espagnole.
2- Le Tribunal indique par ailleurs que le dépôt communautaire de M. Gambettola se situe dans le développement normal et prévisible de son activité de restauration et qu’il n’était pas démontré que la marque n’était pas utilisée en Espagne ni même, son absence d’intention d’étendre son activité en Europe.
3- Seule la notoriété de la marque américaine aurait permis d’établir la connaissance du signe litigieux par le déposant mais sur ce point le Tribunal relève que les données transmises par la société Pollo Tropical Inc n’ont pas permis d’établir la notoriété de la marque américaine tant au moment de la demande d’enregistrement de la marque communautaire qu’à celui de la demande d’enregistrement de la marque espagnole.
4- En outre, le fait que les parties n’aient pas entretenu de relations contractuelles antérieurement à la demande d’enregistrement de la marque espagnole est également un indice que retient le Tribunal pour écarter la connaissance de la marque par le déposant ; la proposition financière de 5 millions de dollars malgré son caractère disproportionné n’étant pas un indice permettant à lui seul de retenir sa mauvaise foi.
5- Enfin, le Tribunal retient que l’identité (totale) des signes ne saurait démontrer la mauvaise foi du déposant en l’absence de tout autre élément pertinent.
Il est regrettable que cette dernière constatation n’ait pas suffi, à elle seule à écarter la « coïncidence fortuite ».
Lysa HALIMI