Lier n’est pas jouer : sur le statut des liens hypertextes au regard du droit d’auteur.
L’interprétation par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) de la directive 2001/29 sur « l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information » affine régulièrement les contours du droit d’auteur et des prérogatives qui y sont attachées. Dans un arrêt du 13 février 2014, c’est le droit de communication au public, résultant de l’article 3 de la directive, qui a bénéficié d’un nouvel éclairage.
Etait en jeu la question du statut du lien hypertexte : le droit d’auteur soumet-il à autorisation la publication de liens hypertextes dirigeant vers une œuvre préalablement divulguée par l’auteur ?
Les journalistes suédois du Göteborgs-Posten étaient de cet avis lorsqu’ils ont assigné en 2010 Retriever Sverige, dont le service fournissait à ses clients des listes de liens cliquables vers des articles publiés par d’autres sites internet, notamment celui du Göteborgs-Posten. La Cour d’appel suédoise, saisie après rejet de leurs demandes, interrogeait alors la CJUE.
Dans la lignée de sa jurisprudence, la Cour rappelle tout d’abord que la notion de communication au public nécessite (i) un acte de communication, entendu de manière large comme « toute transmission des œuvres protégées, indépendamment du moyen ou du procédé techniques utilisés » (4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a., C 403/08 et C 429/08, §193) ; (ii) ainsi qu’un public, soit les personnes qui peuvent « avoir accès » à l’œuvre, ce qui en matière de publication sur un site internet recouvre « l’ensemble des utilisateurs potentiels du site » (§19 et §22).
En outre, elle rappelle que la notion de communication au public est liée à la notion de « public nouveau » comme elle l’avait déjà affirmé (7 décembre 2006, SGAE, C 306/05 ; 7 mars 2013, ITV Broadcasting e.a., C 607/11), soit « un public n’ayant pas été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur » à la divulgation de l’œuvre (§24).
Ainsi selon la Cour, des œuvres mises à disposition du public par leur auteur font l’objet d’une communication au public par la publication d’un lien hypertexte. Cette communication n’est pas soumise à l’autorisation de l’auteur lorsqu’il n’a posé aucune restriction d’accès, et que « tous les internautes pouvaient donc y avoir accès librement » (§26), puisqu’il n’y a pas de public nouveau.
Néanmoins, il en va différemment lorsque la publication d’un lien permet « de contourner des mesures de restriction prises par le site où se trouve l’œuvre protégée afin d’en restreindre l’accès » à un public déterminé (§31). La fourniture du lien contournant la restriction est donc une communication à un public nouveau soumise à autorisation de l’auteur. Il en serait ainsi dans le cas où « l’œuvre n’est plus à disposition du public sur le site sur lequel elle a été communiquée initialement », ou « qu’elle l’est désormais sur ce site uniquement pour un public restreint » (§31).
Enfin, la Cour affirme que la notion de communication au public doit recevoir une définition harmonisée au niveau communautaire. Les Etats membres ne peuvent ainsi prévoir une notion plus étendue que celle que fixe la jurisprudence de la CJUE (§41).
En définitive, l’enseignement de cet arrêt est de fixer le statut du lien hypertexte au regard du droit d’auteur : la publication d’un lien vers une œuvre mise à disposition par un ayant-droit est par principe un acte de communication au public, soumis au droit exclusif, si et dès lors qu’il conduit à une mise à disposition à un public nouveau.
La question reste cependant ouverte sur un point : la CJUE se prononçant sur l’établissement d’un lien vers une œuvre mise à disposition licitement, il reste encore à déterminer si la fourniture de lien hypertexte vers une œuvre mise à disposition illicitement, sans l’autorisation des ayants-droit, peut être considérée comme une communication au public au sens du droit communautaire.
Loïc FOUQUET
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