Le 24 avril dernier, le gouvernement a déposé devant le Sénat un projet de loi visant à alléger les contraintes des chefs d’entreprise en simplifiant leurs démarches. Ce texte comprend des mesures relatives au droit des sociétés, et plus particulièrement, aux opérations du M&A.
Le 15 février dernier, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, et Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, remettaient au gouvernement un rapport intitulé « Rendre des heures aux Français – 14 mesures pour simplifier la vie de nos entreprises »[1].
Les auteurs préconisaient de donner corps à une partie de ces mesures dans une loi de simplification qui serait adoptée avant l’été.
Un projet de loi en ce sens a été déposé au Sénat le 24 avril 2024[2]. Le texte comprend une vingtaine de mesures, principalement à l’attention des TPE-PME. Son examen par le Sénat est prévu à partir du 3 juin.
Parmi cet ensemble, cinq articles impactent le droit des sociétés et plus particulièrement les opérations de M&A :
- la généralisation du recours aux rescrits (projet de loi, art. 3) ;
- la réduction du délai d’information des salariés en cas de cession de leur PME (projet de loi, art. 6) ;
- le rehaussement des seuils de notification des concentrations devant l’Autorité de la concurrence (projet de loi, art. 8) ;
- la suppression de la peine d’emprisonnement prévue en cas d’absence de déclaration au RCS ou de déclarations inexactes ou incomplètes des informations relatives aux bénéficiaires effectifs (projet de loi, art.10) ; et
- la suppression du délit d’entrave à l’exercice des fonctions du commissaire aux comptes en matière de durabilité (projet de loi, art. 10).
La pratique des rescrits – le rescrit est une prise de position formelle de l’administration sur l’interprétation d’un texte de droit ou d’une situation de fait au regard du droit applicable. Elle lui est opposable et donc créatrice de sécurité juridique.
Le rescrit est une pratique courante en matière fiscale et, de plus en plus, en matière sociale. Ainsi, la DGFiP délivre environ 20 000 rescrits chaque année. L’URSSAF recense également environ 20 000 rescrits et prises de position par an.
Le projet de loi entend étendre le champ du rescrit (projet de loi, art. 3). Les domaines visés par ces futurs rescrits restent à préciser par ordonnance.
Cette généralisation de la procédure de rescrit permettra aux entreprises de solliciter en amont d’une opération de M&A une position claire de l’administration pour s’assurer d’être en conformité avant de prendre le risque d’un contrôle ou d’une éventuelle sanction. Il est également prévu sur ce point un recueil mettant à disposition du public des rescrits anonymisés, fiscaux et non fiscaux, consultable par tous afin de renforcer la sécurité juridique. Cette mesure est une véritable avancée en matière fiscale et correspond à la volonté de transparence et de partage de l’information affichée par l’administration[3].
Information des salariés en cas de cession de leur PME – Pour faciliter la transmission des petites et moyennes entreprises, la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (ESS) a mis en place un dispositif d’information des salariés lorsqu’est envisagé un projet de vente du fonds de commerce ou de plus de 50 % du capital de leur entreprise, afin de leur offrir la possibilité de présenter une offre d’acquisition (L. n° 2014-856, 31 juill. 2014). Pour les entreprises de moins de 50 salariés, cette obligation d’information préalable impose que les salariés soient avertis au moins 2 mois avant la vente.
Toutefois, il ressort que, depuis son entrée en vigueur le 1er novembre 2014, ce mécanisme n’a pas eu l’effet escompté. L’étude d’impact du projet de loi[4] révèle que « le taux de transmission des entreprises de moins de 50 salariés est plus faible que celui des entreprises de 50 salariés ou plus, et que le taux de disparitions est nettement plus élevé pour les entreprises de moins de 50 salariés que pour les entreprises de 50 salariés ou plus…» (étude d’impact, p. 106). Certaines organisations professionnelles estiment que ce dispositif constitue un frein en raison de la charge administrative qu’il représente pour elles. Selon elles, le délai de 2 mois a également un effet dissuasif pour les potentiels acquéreurs (étude d’impact, p. 106).
En cas de projet de vente du fonds de commerce ou du contrôle d’une entreprise de moins de 50 salariés, le projet de loi prévoit donc la modification des dispositions du Code de commerce par :
- La réduction de 2 à 1 mois du délai d’information obligatoire préalable des salariés et,
- L’abaissement du plafond de l’amende civile pouvant être prononcée lorsqu’une action en responsabilité est engagée à 0,5 % du montant de la vente (au lieu de 2 %) (projet de loi, art. 6).
On peut toutefois s’étonner qu’une réduction de l’amende civile n’ait pas été également envisagée pour les autres entreprises concernées par ce dispositif, comme l’on peut, plus généralement, s’interroger sur le maintien de ce dispositif, notamment dans un contexte de vente, souvent courant en pratique, où le repreneur est déjà pressenti.
Seuils de contrôle des concentrations – Obtenir l’aval de l’Autorité de la concurrence est une étape clé pour beaucoup d’entreprises qui souhaitent en racheter d’autres ou fusionner entre elles. Actuellement, cette obligation n’intervient que si les conditions de seuil suivantes, énoncées à l’article L. 430-2 du code de commerce, sont réunies :
- le chiffre d’affaires total mondial hors taxes de l’ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 150 millions d’euros ; et
- le chiffre d’affaires total hors taxes réalisé en France par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 50 millions d’euros.
Le projet de loi entend relever ces seuils à respectivement 250 millions d’euros et 80 millions d’euros.
L’article L. 430-2 du code de commerce précise ensuite que lorsque deux au moins des parties à la concentration exploitent un ou plusieurs magasins de détail, est soumise à contrôle toute opération de concentration lorsque sont réunies les conditions de seuil suivantes :
- le chiffre d’affaires total mondial hors taxes de l’ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 75 millions d’euros ; et
- le chiffre d’affaires total hors taxes réalisé en France dans le secteur du commerce de détail par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 15 millions d’euros.
Ces seuils devraient passer à 100 millions d’euros et 20 millions d’euros (projet de loi, art. 8).
L’objectif est de réévaluer ces seuils datant de 2004, en tenant compte de l’évolution de la situation économique. L’étude d’impact explique que « L’absence de réévaluation des seuils généraux depuis 2004 et des seuils applicables au commerce de détail depuis 2008 et l’augmentation parallèle du taux d’inflation et du PIB nominal français ont mécaniquement fait diminuer le niveau relatif de ces seuils et ont contribué à une augmentation significative du nombre d’opérations notifiées à l’Autorité de la concurrence » (étude d’impact, p. 130).
Cette réforme devrait permettre l’allégement des procédures administratives des entreprises, et en particulier des PME actives en France, puisque, selon l’exposé des motifs, le rehaussement des seuils de notification conduirait à dispenser la notification d’un nombre important d’opérations (estimé de 20 à 30 % des opérations aujourd’hui notifiées), non problématiques d’un point de vue concurrentiel (pour en savoir plus sur cet aspect relatif au contrôle des concentrations, v. l’article de notre département concurrence).
Bénéficiaires effectifs : sanctions liées aux obligations déclaratives – Actuellement, lorsqu’une société omet de déclarer l’identité de ses bénéficiaires effectifs au registre du commerce et des sociétés (RCS), que ce soit au moment de son immatriculation ou dans les 30 jours en cas de modification, son dirigeant encourt 6 mois d’emprisonnement et 7?500 € d’amende (c. mon. et fin. art. L. 574-5).
Le projet de loi propose de supprimer cette peine d’emprisonnement pour la remplacer par une peine d’amende plus importante afin de maintenir l’aspect dissuasif de la répression et de se conformer aux engagements internationaux de la France. Le fait de ne pas déclarer les bénéficiaires effectifs au RCS ou de déclarer des informations inexactes ou incomplètes serait alors sanctionné par une amende pouvant atteindre 250?000 € pour une personne physique et 1?250?000 € pour une société (projet de loi art. 10 ; c. pén. art. 131-38).
Le quantum de l’amende proposé s’inspire de ce qui est prévu dans d’autres pays de l’Union européenne, notamment le Luxembourg.
Audit de durabilité – les sanctions pénales prévues en matière de commissariat aux comptes ont été adaptées afin d’inclure les commissaires aux comptes désignés pour la mission de certification des informations de durabilité. Il en est ainsi, notamment de la sanction pénale pour délit d’entrave : est puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 75 000 € le fait, pour tout dirigeant de faire obstacle aux vérifications ou contrôles des commissaires aux comptes, ou de leur refuser la communication de pièces utiles (C. com., art. L. 821-6, 3°).
D’après l’étude d’impact, le délit d’entrave, appliqué à la mission d’audit de durabilité, est critiqué pour son caractère excessif et imprécis. En effet, « à la différence du dispositif de certification en matière d’informations financières qui repose sur la mise en œuvre de normes connues de longue date par les commissaires aux comptes et les entreprises, le dispositif de certification d’informations extra-financière est nouveau, et s’appuie sur des normes professionnelles toujours en cours d’élaboration. Il en résulte que les entreprises ne savent pas toujours quels documents elles doivent transmettre aux commissaires aux comptes ou auditeurs et celles dont elles sont en droit de refuser la transmission » (étude d’impact, p. 166-167).
C’est pourquoi les sanctions applicables en cas d’entrave aux travaux du commissaire aux comptes seraient limitées à ses missions d’audit financier, excluant ainsi la certification des informations en matière de durabilité (projet de loi, art. 10).
Katia BOUKHOBZA
Stagiaire du département Corporate / Fusions–Acquisitions
[1] Rapport-projet-de-loi-sur-la-simplification.pdf (economie.gouv.fr)
[2] Simplification de la vie économique (senat.fr)
[3] Cette mesure n’a pas été formalisée dans le projet de loi, elle sera portée par un autre support normatif : l’article 3, 3° du projet de loi prévoit que les conditions de publication et d’opposabilité à l’administration de sa prise de position formelle, seront fixées par ordonnance.