L’usage d’un nom de famille à titre de marque peut-il porter atteinte à une marque de renommée ?
Cass. com., 22 juin 2022, 20-19.025
L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 22 juin 2022 vient clore l’affaire judiciaire Taittinger mettant en balance la protection d’une marque de renommée et l’usage d’un nom patronymique. Dans cette affaire, et au vu des circonstances de l’espèce, la Cour de cassation a retenu que Madame Virginie Taittinger n’avait pas porté atteinte à la marque de renommée Taittinger en utilisant son nom patronymique dans le cadre de son activité de commercialisation de produits de champagne.
En l’espèce, la société familiale Taittinger avait déposé en 1968 la marque du même nom aujourd’hui connue d’une partie significative du public concerné pour élaborer et commercialiser des champagnes. En 2005, les membres de la famille ont cédé par l’intermédiaire d’un mandataire les parts qu’ils détenaient dans la société via un acte de cession comportant une clause aux termes de laquelle la famille s’engageait à ne pas exploiter le nom « Taittinger » pour désigner des produits et services concurrents.
Madame Virginie Taittinger a créé sa société en 2008 pour commercialiser son propre champagne. Pour commercialiser et promouvoir ses produits sans utiliser le nom Taittinger objet de la marque antérieure, la marque française « Virginie T » a été déposée et le nom de domaine www.champagnevirginiet.com a été réservé. Toutefois, de nombreuses références au nom Taittinger ont été utilisées dans les argumentaires promotionnels, notamment en référence à l’histoire familiale.
La société Taittinger a assigné Madame Virginie Taittinger pour atteinte à la marque de renommée, concurrence déloyale et parasitisme sur le fondement des articles 1240 du Code Civil et L713-5 du Code de la propriété intellectuelle, ce dernier texte disposant que « L’emploi d’une marque jouissant d’une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur s’il est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière ».
Les juges du fond ont rejeté ces demandes en estimant que les conditions dans lesquelles la défenderesse avait fait référence à son nom patronymique sont exclusives de toute mauvaise foi et de tout comportement contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale ; la société demanderesse a formé un pourvoi pour faire valoir que?le titulaire d’une marque renommée est en droit d’interdire l’usage d’un signe similaire ou identique pour des produits ou services identiques, similaires ou différents qui, sans juste motif, tirent indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque.
Par ce dernier arrêt rendu le 22 juin 2022, la Cour de cassation a tout d’abord pris soin de souligner son désaccord avec une partie du raisonnement de la Cour d’appel de renvoi considérant que « c’est à tort que la cour d’appel a écarté l’atteinte à la marque renommée sans tenir compte, dans son appréciation globale, de l’ensemble des facteurs pertinents ». Ce faisant, la Cour de cassation a rectifié la méthodologie de la Cour d’appel et rappelé le principe classique selon lequel l’appréciation d’une atteinte éventuelle à une marque (de renommée ou non) impose la prise en compte de l’ensemble des facteurs pertinents. Il s’en déduit qu’en fonction de ces facteurs, l’usage d’un nom patronymique peut constituer une exploitation injustifiée d’une marque de renommée.
Néanmoins, la Cour de cassation a approuvé la conclusion finale de la Cour d’appel et rejeté le pourvoi en retenant comme « motifs propres et adoptés » que le nom « Taittinger » n’est utilisé par la défenderesse qu’à titre de nom de famille, pour souligner, à travers le rappel de l’histoire familiale et de son parcours professionnel, son expérience et son savoir-faire acquis en matière de champagne et pour distinguer systématiquement les produits commercialisés sous la marque « Virginie T » de ceux commercialisés sous la marque Taittinger.
Ainsi, il apparait que les faits de l’espèce révélaient un juste motif de l’usage du patronyme Taittinger et suffisaient à exclure l’atteinte à la marque de renommée éponyme.