L’usage sérieux d’une marque communautaire dans un territoire de l’Union Européenne est-il suffisant ?
La question du caractère suffisant de l’usage d’une marque communautaire dans un seul Etat membre de l’Union Européenne pour démontrer un usage sérieux de ladite marque est récurrente.
En l’espèce, l’une des parties au litige avait déposé la marque communautaire ONEL en mars 2002, tandis que la seconde avait déposé la marque OMEL en juillet 2009 pour des services similaires auprès de l’Office Benelux de la Propriété Intellectuelle (OBPI).
Le titulaire de la marque antérieure forme une opposition contre la demande d’enregistrement OMEL auprès de l’OBPI, qui la rejette, faute d’usage sérieux de la marque ONEL au cours des cinq années précédant la date de publication du dépôt de la marque contestée.
Un recours est formé par le titulaire de la marque ONEL. La juridiction de renvoi constate que le titulaire ne démontre un usage sérieux qu’aux Pays-Bas et s’interroge sur la portée de la déclaration commune n°10 concernant l’article 15 du règlement CE n°40/94 selon laquelle « le Conseil et la Commission considèrent qu’un usage sérieux au sens de l’article 15 dans un seul pays constitue un usage sérieux dans la Communauté ».
La juridiction de renvoi sursoit donc à statuer et pose à la Cour de Justice plusieurs questions préjudicielles visant à déterminer si l’usage d’une marque communautaire dans un seul Etat membre peut être considéré comme un usage sérieux dans la Communauté.
Si la question n’est pas nouvelle, la décision de la Cour de Justice a le mérite de clarifier les éléments d’appréciation de l’usage sérieux d’une marque communautaire.
La Cour rappelle ainsi qu’une marque communautaire fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits et services pour lesquels elle a été enregistrée. L’appréciation du caractère sérieux doit permettre d’établir la réalité de l’exploitation commerciale de la marque dans la vie des affaires, notamment dans le but de maintenir ou créer des parts de marché.
L’exigence d’un usage sérieux de la marque communautaire a notamment pour objectif de préserver le droit des concurrents d’utiliser un signe qui ne serait pas utilisé, restreignant ainsi la libre circulation des marchandises et la libre prestation de services. Néanmoins, l’étendue territoriale de l’usage n’est qu’un facteur parmi d’autres pour déterminer le sérieux de l’usage de la marque.
La Cour rappelle en effet que l’usage sérieux doit être apprécié en faisant abstraction des frontières du territoire des Etats membres, conformément aux objectifs de la réglementation communautaire en la matière.
La Cour indique que s’il apparaît justifié de s’attendre à ce qu’une marque communautaire fasse l’objet d’un usage sur un territoire plus vaste que celui d’un seul Etat membre pour être qualifié de sérieux dans la mesure où le titulaire jouit d’une protection plus étendue qu’une marque nationale, selon les circonstances, il n’est pas exclu que le marché de produits ou services pour lesquels la marque a été enregistrée soit de fait cantonné au territoire d’un seul Etat membre. L’étendue géographique de l’usage dépend ainsi en partie des caractéristiques des produits ou services concernés.
Ainsi, la Cour souligne qu’il n’est pas possible de déterminer a priori l’étendue territoriale qui doit être retenue pour apprécier si l’usage de la marque communautaire est sérieux ou non. En effet, cette appréciation doit reposer sur l’ensemble des faits et circonstances permettant d’apprécier si l’exploitation commerciale de la marque est susceptible de créer ou conserver les parts de marchés pour les produits et services visés, ce qui dépend d’un ensemble d’éléments, notamment les caractéristiques du marché en cause, la nature des produits et services visés, l’étendue territoriale et quantitative de l’usage ainsi que sa fréquence et sa régularité.
Par conséquent, il ne peut être exclu par principe que l’usage d’une marque communautaire dans un seul Etat membre soit suffisant pour être sérieux, et la territorialité de l’usage n’est qu’un des éléments d’appréciation du sérieux de l’usage.
Anne Sophie LABORDE