Maintien de l’indemnité légale de fin de contrat au profit de l’agent commercial dès lors que le manquement grave n’est pas le motif exprimé par le mandant dans la lettre de rupture du contrat
Dans un arrêt rendu le 13 avril 2023[1], la Cour de cassation a repris sa nouvelle jurisprudence issue de l’arrêt Acopal [2] relative au maintien de l’indemnité légale de fin de contrat au profit de l’agent commercial même en cas de manquement grave par celui-ci à ses obligations contractuelles, dès lors que ce manquement grave ne figure pas en tant que tel dans la lettre de rupture du contrat, bien qu’il ait existé avant la rupture. En effet, dans ce cas, la Cour de cassation considère désormais que la faute grave de l’agent ne peut être pas considérée comme ayant « provoqué » la rupture et qu’elle ne constitue donc pas le motif d’exclusion de l’indemnité prévu par l’article L134-13 du Code de commerce. Cette jurisprudence est conforme à la position de la Cour de justice de l’Union européenne[3].
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt rapporté, un contrat tripartite avait été conclu entre une association et, d’une part, une société franchisée (société EOVI) se voyant confier la distribution exclusive des produits contractuels sur quatre départements et, d’autre part, une société mandatée pour représenter ce franchisé, en qualité d’agent commercial, sur le même territoire (société SDR).
La société EOVI avait rompu le contrat d’agence commerciale au motif de différents manquements par la société SDR à ses obligations contractuelles : les manquements reprochés au soutien de la résiliation du contrat étaient un dynamisme insuffisant de l’agent commercial et une insuffisance des moyens mis en œuvre pour la distribution des produits. La société EOVI refusant de verser l’indemnité légale de fin de contrat du fait de l’existence de ces manquements, la société SDR a saisi le juge pour voir reconnaître son droit à indemnité.
Le 30 mars 2021, la Cour d’appel de Grenoble avait considéré que la contribution par l’agent commercial au développement d’une activité directement concurrente de celle qui constituait l’objet de son contrat de représentation était un manquement « grave », rendant impossible, par son caractère déloyal et la perte de confiance qui en résultait, le maintien du lien contractuel. Selon les juges d’appel, ce manquement grave justifiait l’absence de versement de l’indemnité légale à la société SDR, bien qu’il ne figure pas dans la lettre de rupture et qu’il soit distinct des motifs énoncés dans celle-ci.
La Cour d’appel avait ainsi statué dans le sens de l’ancienne jurisprudence de la Cour de cassation qui considérait que l’existence d’une faute contractuelle grave de l’agent le privait de son droit à l’indemnité légale de fin de contrat même lorsqu’elle ne figurait pas dans la lettre de rupture et qu’elle avait été découverte par le mandant après celle-ci.
La Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel.
Après un rappel des textes, la Cour de cassation a indiqué que l’agent commercial, qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n’a pas été fait état dans la lettre de résiliation et qui a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte que ce manquement n’a pas provoqué la rupture, ne peut pas être privé de son droit à indemnité.
Dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt commenté, il n’avait pas été fait état du manquement concurrentiel de la société SDR dans la lettre de résiliation de son mandat d’agent commercial et ce manquement, qui était distinct de ceux exposés dans cette lettre, avait été découvert postérieurement à la notification de la rupture du contrat, de sorte qu’il n’avait pas pu la provoquer.
La société EOVI aurait donc dû exposer la faute grave de l’agent commercial, en l’occurrence le manquement concurrentiel de la société SDR, dès l’envoi du courrier de rupture. A défaut l’agent conserve son droit à l’indemnité de fin de contrat.
[1] Cour de cassation, Chambre commerciale, 13 avril 2023, 21-23.076
[2] Com. 16 novembre 2022, n° de pourvoi 21-17-423
[3] CJUE 28-10-2010 aff. 203/09