Manquement aux obligations de sécurité et licenciement : une appréciation in concreto par la Cour de cassation : ancienneté, passé disciplinaire et formation
Nous revenons sur un arrêt du 29 mai 2024 (22-18328), dans lequel la chambre sociale de la Cour de cassation réaffirme les contours juridiques de l’obligation de sécurité de l’employeur, consacrée par l’article L4121-1 du code du travail. Elle rappelle que le licenciement pour manquement aux règles de sécurité ne peut être prononcé sans une appréciation exhaustive du contexte professionnel. Elle impose ainsi aux employeurs une rigueur accrue dans la justification des sanctions disciplinaires.
Dans cette affaire, un salarié, ayant 28 ans d’ancienneté, a été licencié pour faute simple après avoir utilisé une scie à panneau sans habilitation, sans équipement de protection individuelle et sans assistance d’un personnel habilité.
Si la matérialité du manquement était avérée (§5 de l’arrêt commenté), la cour d’appel a jugé que cette seule infraction ne suffisait pas à justifier un licenciement, compte tenu de l’absence de sanctions antérieures et du manque de formation spécifique dispensée par l’employeur (§6).
La Cour de cassation confirme cette approche en soulignant que la gravité d’un manquement doit être appréciée au regard du passé disciplinaire du salarié et des obligations de prévention de l’employeur. Ce dernier doit démontrer qu’il a effectivement sensibilisé ses salariés aux risques encourus avant d’invoquer une faute disciplinaire à cet égard. En effet, dans cette affaire, « l’employeur n’établissait pas qu’il avait sensibilisé son salarié aux risques encourus dans le cadre de son obligation de sécurité » (§6).
L’arrêt commenté souligne donc la nécessité d’une politique de prévention rigoureuse et la prise en compte de l’ancienneté du salarié outre son passé disciplinaire.
Ainsi, cette décision illustre l’importance pour l’employeur de respecter son obligation de sécurité en informant et en formant adéquatement ses salariés aux risques professionnels. Elle rappelle également que l’appréciation de la faute doit tenir compte du contexte global, y compris de l’historique disciplinaire du salarié (en l’occurrence, le salarié n’avait jamais fait l’objet de sanctions ou de reproches en 28 ans, §6) et des pratiques de la société.
En contraste, l’arrêt du 15 février 2023 (22-10398), avait validé le licenciement pour faute grave d’un salarié ayant 22 ans d’ancienneté, considérant sa parfaite connaissance des règles de sécurité et la nécessité pour lui de s’assurer que les opérations étaient réalisées en conformité avec ces dernières, compte-tenu notamment de la dangerosité potentielle des travaux. La nuance réside donc dans l’appréciation contextuelle du manquement.
- Pour une analyse approfondie de cette décision, vous pouvez consulter notre précédent Flash sur l’arrêt du 15 février 2023 : ici.
En revanche, l’unique faute d’inattention d’un responsable du contrôle sécurité qui « n’avait pas connaissance de la pratique consistant à neutraliser la sécurité des vérins » et ayant toujours exercé ses fonctions avec une attention scrupuleuse ne peut pas constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement (Cass. soc., 10 nov. 2010, 09-42168).
Il est donc essentiel pour les employeurs de mettre en place des formations régulières sur la sécurité et de consigner ces actions, afin de pouvoir démontrer qu’ils ont satisfait à leur obligation de prévention et leur permettre subséquemment de légitimement sanctionner les manquements des salariés qui ne respecteraient pas les précautions auxquels ils ont pourtant été sensibilisés pour limiter les risques. Ainsi, l’employeur doit établir une traçabilité claire des actions de prévention afin, en cas de contentieux, de pouvoir démontrer qu’il a :
- Effectivement informé ses salariés des risques encourus et
- Mis en place des formations adéquates.