Le jugement rendu dans cette affaire est l’occasion de faire une mise au point sur les cessions de fonds de commerce éditoriaux, la prescription applicable depuis la réforme de 2008 et l’appréciation du respect par l’éditeur de ses obligations éditoriales.
En l’espèce, l’auteur, également artiste-interprète d’une œuvre de variétés destinée à servir de générique de fin dans un film, mécontent de la réalisation d’une reprise de cette œuvre par d’autres artistes-interprètes, assignait notamment son éditeur et le compositeur de l’œuvre sur le fondement de l’atteinte à son droit moral du fait d’une dénaturation de son œuvre. L’auteur sollicitait également la résiliation de son contrat de cession et d’édition sur deux fondements distincts. Il invoquait d’une part, la nullité de la cession du fonds de commerce de l’éditeur d’origine à un second éditeur et d’autre part, le non respect par l’éditeur de ses obligations éditoriales.
S’agissant de la validité de la cession des catalogues éditoriaux par l’éditeur d’origine à un nouvel éditeur, l’auteur soutenait qu’elle ne constituait pas une cession de fonds de commerce éditorial et qu’elle était donc soumise à son autorisation préalable. Bien que l’éditeur en cause ait pour activité principale déclarée au RCS, la production pour le cinéma, les juges relèvent que l’activité effectivement exercée par la société était l’édition musicale. En l’absence de preuve quant à l’existence d’éléments incorporels autres qui auraient constitué le fonds de commerce de la société, il est jugé que la société exerçait exclusivement une activité éditoriale dont les catalogues cédés en intégralité constituaient le fonds. Par conséquent, l’éditeur n’avait pas à solliciter l’autorisation préalable de l’auteur. La cession des catalogues éditoriaux est jugée valable, l’auteur ne soutenant pas par ailleurs que l’aliénation du fonds de commerce ait porté atteinte à ses droits moraux ou matériels.
Concernant l’exploitation de l’œuvre, tous les griefs invoqués par l’auteur ont été rejetés par le tribunal.
D’une part, certains manquements imputés à l’éditeur sont jugés prescrits. Il s’agit notamment des griefs remontant à l’origine du contrat signé en 1994, parmi lesquels la réalisation du nombre d’exemplaires visés au contrat. Le point de départ de la prescription retenu est celui du « jour de la connaissance déterminée concrètement des faits donnant naissance à son intérêt à agir par son titulaire ». Or, en l’espèce, l’auteur ne contestait pas qu’il disposait pas à la date de signature du contrat de la totalité des informations lui permettant d’agir. De même, le grief tenant à l’absence de reddition de comptes est également jugé prescrit pour la période antérieure au 31 décembre 2009, soit 5 ans avant l’assignation, l’auteur ne prétendant pas être dans l’impossibilité de connaitre les faits lui permettant d’agir antérieurement.
Le tribunal souligne cependant que, si un fait prescrit ne peut fonder une résiliation, il est toutefois possible de le prendre en compte pour apprécier la gravité des manquements postérieurs non prescrits. En l’espèce, l’absence d’action de l’auteur pendant plus de 20 ans en dépit de la perception régulière de ses droits, entraine que le manquement portant sur l’absence de reproduction graphique, à le supposer réel, ne peut avoir d’incidence sur l’appréciation de la gravité des éventuels manquements postérieurs. Au regard des redditions de comptes, le tribunal relève que les éléments produits n’établissent qu’une exécution partielle par l’éditeur, mais qu’en l’absence de réclamation de l’auteur avant l’assignation, un tel manquement n’est pas suffisamment grave pour fonder une résiliation.
Enfin, s’agissant de l’obligation de moyen d’exploitation permanente et suivie, elle doit, selon le tribunal, s’apprécier en considération de l’objet de l’exploitation et de son contexte. En l’espèce, il est jugé que l’éditeur prouve avoir procédé à l’édition graphique des œuvres et à leur édition en coffret karaoké. Il démontre donc avoir exécuté son obligation dans des conditions satisfaisantes au regard de la nature de l’œuvre (chanson de variété destinée à servir de générique de fin d’un film) et de son ancienneté, mais également de l’indisponibilité de l’auteur, manifestement difficile à contacter.
Enfin, la demande fondée sur une dénaturation de l’œuvre est également rejetée. S’agissant de l’appréciation de l’atteinte au droit moral de l’auteur lors de la reprise de la chanson par d’autres artistes-interprètes, il ne s’agit pas selon les juges de prendre en compte l’interprétation par l’auteur artiste-interprète de l’œuvre, qui n’est pas l’œuvre telle que divulguée, mais son interprétation. Ainsi, si le dépôt SACEM n’est pas constitutif de droit, il permet toutefois de déterminer le contenu de l’œuvre formalisée. En conséquence, la partition peut seule servir à l’analyse de la dénaturation invoquée. En l’espèce, les juges relèvent que les paroles sont identiques et qu’aucune preuve de la modification de la musique n’est rapportée, les changements allégués n’affectant que l’interprétation de l’œuvre.
Florence DAUVERGNE