Mise au point sur les relations entre auteur et éditeur de musique

TGI Paris, 3ème Ch., 1ère section, 26 mai 2016

Le jugement rendu dans cette affaire est l’occasion de faire une mise au point sur les cessions de fonds de commerce éditoriaux, la prescription applicable depuis la réforme de 2008 et l’appréciation du respect par l’éditeur de ses obligations éditoriales.

 

En l’espèce, l’auteur, également artiste-interprète d’une œuvre de variétés destinée à servir de générique de fin dans un film, mécontent de la réalisation d’une reprise de cette œuvre par d’autres artistes-interprètes, assignait notamment son éditeur et le compositeur de l’œuvre sur le fondement de l’atteinte à son droit moral du fait d’une dénaturation de son œuvre. L’auteur sollicitait également la résiliation de son contrat de cession et d’édition sur deux fondements distincts. Il invoquait d’une part, la nullité de la cession du fonds de commerce de l’éditeur d’origine à un second éditeur et d’autre part, le non respect par l’éditeur de ses obligations éditoriales.

S’agissant de la validité de la cession des catalogues éditoriaux par l’éditeur d’origine à un nouvel éditeur, l’auteur soutenait qu’elle ne constituait pas une cession de fonds de commerce éditorial et qu’elle était donc soumise à son autorisation préalable. Bien que l’éditeur en cause ait pour activité principale déclarée au RCS, la production pour le cinéma, les juges relèvent que l’activité effectivement exercée par la société était l’édition musicale. En l’absence de preuve quant à l’existence d’éléments incorporels autres qui auraient constitué le fonds de commerce de la société, il est jugé que la société exerçait exclusivement une activité éditoriale dont les catalogues cédés en intégralité constituaient le fonds. Par conséquent, l’éditeur n’avait pas à solliciter l’autorisation préalable de l’auteur. La cession des catalogues éditoriaux est jugée valable, l’auteur ne soutenant pas par ailleurs que l’aliénation du fonds de commerce ait porté atteinte à ses droits moraux ou matériels.

Concernant l’exploitation de l’œuvre, tous les griefs invoqués par l’auteur ont été rejetés par le tribunal.

D’une part, certains manquements imputés à l’éditeur sont jugés prescrits. Il s’agit notamment des griefs remontant à l’origine du contrat signé en 1994, parmi lesquels la réalisation du nombre d’exemplaires visés au contrat. Le point de départ de la prescription retenu est celui du « jour de la connaissance déterminée concrètement des faits donnant naissance à son intérêt à agir par son titulaire ». Or, en l’espèce, l’auteur ne contestait pas qu’il disposait pas à la date de signature du contrat de la totalité des informations lui permettant d’agir. De même, le grief tenant à l’absence de reddition de comptes est également jugé prescrit pour la période antérieure au 31 décembre 2009, soit 5 ans avant l’assignation, l’auteur ne prétendant pas être dans l’impossibilité de connaitre les faits lui permettant d’agir antérieurement.

Le tribunal souligne cependant que, si un fait prescrit ne peut fonder une résiliation, il est toutefois possible de le prendre en compte pour apprécier la gravité des manquements postérieurs non prescrits. En l’espèce, l’absence d’action de l’auteur pendant plus de 20 ans en dépit de la perception régulière de ses droits, entraine que le manquement portant sur l’absence de reproduction graphique, à le supposer réel, ne peut avoir d’incidence sur l’appréciation de la gravité des éventuels manquements postérieurs. Au regard des redditions de comptes, le tribunal relève que les éléments produits n’établissent qu’une exécution partielle par l’éditeur, mais qu’en l’absence de réclamation de l’auteur avant l’assignation, un tel manquement n’est pas suffisamment grave pour fonder une résiliation.

Enfin, s’agissant de l’obligation de moyen d’exploitation permanente et suivie, elle doit, selon le tribunal, s’apprécier en considération de l’objet de l’exploitation et de son contexte. En l’espèce, il est jugé que l’éditeur prouve avoir procédé à l’édition graphique des œuvres et à leur édition en coffret karaoké. Il démontre donc avoir exécuté son obligation dans des conditions satisfaisantes au regard de la nature de l’œuvre (chanson de variété destinée à servir de générique de fin d’un film) et de son ancienneté, mais également de l’indisponibilité de l’auteur, manifestement difficile à contacter.

Enfin, la demande fondée sur une dénaturation de l’œuvre est également rejetée. S’agissant de l’appréciation de l’atteinte au droit moral de l’auteur lors de la reprise de la chanson par d’autres artistes-interprètes, il ne s’agit pas selon les juges de prendre en compte l’interprétation par l’auteur artiste-interprète de l’œuvre, qui n’est pas l’œuvre telle que divulguée, mais son interprétation. Ainsi, si le dépôt SACEM n’est pas constitutif de droit, il permet toutefois de déterminer le contenu de l’œuvre formalisée. En conséquence, la partition peut seule servir à l’analyse de la dénaturation invoquée. En l’espèce, les juges relèvent que les paroles sont identiques et qu’aucune preuve de la modification de la musique n’est rapportée, les changements allégués n’affectant que l’interprétation de l’œuvre.

Florence DAUVERGNE

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Ayant eu connaissance d’une campagne publicitaire nationale visant à faire la promotion des chaussures de la marque KICKERS et reprenant, au sein de ses visuels, les termes « FOREVER YOUNG », il a assigné le distributeur des produits KICKERS en France.

 

Ses demandes ayant été rejetées par le tribunal de grande instance de Rennes, la société BRUNO SAINT HILAIRE, a formé appel de la décision et la Cour d’appel de Rennes, saisie du litige, permet ainsi d’enrichir la jurisprudence déjà fournie sur la protection des slogans publicitaires par le droit des marques.

 

La validité des dépôts de slogans à titre de marque a parfois été contestée, en raison de leur nature évocatrice. Malgré cela, les tribunaux sont souvent réticents à considérer qu’un slogan ne peut, per se, être déposé en tant que marque, l’article L711-1 du Code de la propriété intellectuelle listant parmi les signes pouvant être déposés en tant que marque les « dénominations sous toutes les formes » dont notamment les « assemblages de mots ».

 

Cependant, même déposé, il peut souvent s’avérer difficile pour les titulaires de ces marques d’obtenir une protection sur le fondement du droit des marques, comme l’illustre notamment cet arrêt.

 

En l’espèce, si la validité du dépôt en tant que marque du signe Image de la marquen’était pas contestée ici, le litige portait sur la réalité de l’usage.

 

L’article L714-5 du Code de la propriété intellectuelle énonce en effet qu’ « encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans juste motif, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans ».

 

La société BRUNO SAINT HILAIRE, à qui était opposée l’absence d’usage sérieux du signe Image de la marque, avait soutenu qu’elle utilisait sa marque, en produisant des « photographies de 4 personnes portants des vêtements et chaussures avec la mention Forever Y au-dessus de la marque Saint Hilaire », ou encore « la présentation d’un homme habillé sur un solex devant un panneau où figure les mêmes éléments et alors qu’il constitue un stand publicitaire (…) ». Elle reconnaissait néanmoins que ce signe était utilisé comme concept, ce qu’indiquait d’ailleurs son site : « Forever Y, c’est tout un état d’esprit… avoir confiance en soi, se sentir bien et libre, oser passer à l’acte… être Forever Y ».

 

La Cour d’appel de Rennes a estimé que le signe n’était dès lors pas utilisé dans une fonction d’identification de l’origine des produits, et a prononcé la déchéance de la marque à compter du 1er décembre 2013.

 

 

Si la contrefaçon n’était pour autant pas de facto écartée à ce stade, les actes argués de contrefaçon datant de septembre 2010, la contestation de l’usage effectif à titre de marque a s’est avérée efficace.

 

La Cour d’appel note que le signe FOREVER YOUNG avait été utilisé « dans le cadre des 40 ans de la marque KICKERS », « au sein d’une phrase écrite en langue anglaise, traduite ensuite en langue française », de manière descriptive « de la marque KICKERS éternellement jeune ». Elle estime, par conséquent et de manière plutôt cohérente avec la déchéance prononcée, que là aussi, ces mots étaient utilisés à titre d’expression courante et non à titre de marque. Aucun usage du signe à titre de marque n’ayant été réalisé antérieurement au 1er décembre 2013, la demande sur le fondement de la contrefaçon a par conséquent été rejetée.

 

Sur les demandes formées sur le fondement de la concurrence déloyale, la Cour confirme également le jugement, en estimant que la société BRUNO SAINT HILAIRE ne justifiait pas d’investissement ou de travail particulier pour développer le « concept » FOREVER YOUNG, dont la « valeur économique individualisée » n’était, selon la Cour, pas démontrée.

 

Antoine JACQUEMART