Cass. Com., 27 janvier 2021
Par un arrêt du 27 janvier 2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation met un terme à une procédure initiée dix années plus tôt opposant les sociétés Quick et Sodebo, en confirmant l’absence de caractère distinctif de la marque « Giant » de Quick, entraînant donc sa nullité. Ce contentieux rappelle qu’une demande reconventionnelle en annulation constitue une parade redoutable pour le défendeur d’une action en contrefaçon.
En l’espèce, la société Quick est titulaire de la marque internationale « Giant » qui a contribué au succès de l’enseigne de fast-food par sa gamme de produits, du burger au sandwich. Cette marque, désignant la France, avait été enregistrée auprès de l’OMPI le 14 juin 2006 en classes 29, 30 et 43.
Le 3 février 2011, la société Sodebo dépose la marque française « Pizza Giant Sodebo » pour désigner des produits identiques et commercialise au printemps 2011 une gamme de pizzas sous le nom « Pizza Giant ».
Quick assigne la société Sodebo en annulation de la marque « Pizza Giant Sodebo », ainsi qu’en contrefaçon et concurrence déloyale et parasitaire. En réplique, et à titre reconventionnel, la société Sodebo demande l’annulation de la partie française de la marque « Giant » pour défaut de distinctivité.
Le 24 octobre 2013, le Tribunal de Grande instance de Paris prononce la nullité de la partie française de la marque « Giant » et déclare en conséquence irrecevables les demandes principales formées par Quick en contrefaçon. (TGI Paris, 24 octobre 2013, n°12/10515)
Le 14 avril 2015, la cour d’appel de Paris infirme ce jugement en considérant que la marque « Giant » est valable (CA Paris, 14 avril 2015, n°087/2015). Ainsi, pour les juges d’appel, le caractère simplement évocateur de la marque « Giant » est suffisant pour remplir l’exigence de distinctivité. Dans le même sens, la cour d’appel de Paris avait déjà validé certaines marques similaires comme « Camping-gaz » pour des réchauds à gaz destinés aux campeurs (CA Paris, 23 juin 1981, D. 1982, Reboul), ou encore « Double douceur » pour des produits laitiers (CA Paris, 13 novembre 1996, PIBD 1997. III. 119), en considérant que leur caractère évocateur ne conduisait pas à les qualifier de marque descriptive, insusceptible d’être enregistrée.
Néanmoins, par un arrêt du 8 juin 2017, la chambre commerciale de la Cour de cassation censure la position des juges d’appel en estimant que leur motivation n’est pas satisfaisante (Cass. com.
8 juin 2017, n° 15-20.966). La chambre commerciale rappelle la règle selon laquelle « sont dépourvus de caractère distinctif les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique des produits ou services couverts par la marque » ; il importe peu, précise-t-elle, « que les caractéristiques des produits ou services qui sont susceptibles d’être décrites soient essentielles sur le plan commercial ou accessoires ». La Cour de cassation rappelle ainsi que les juges du fond ne doivent pas limiter leur appréciation aux caractéristiques essentielles ou non essentielles désignées par le signe ; dans ces deux cas ce signe ne peut constituer une marque valable.
Le 3 juillet 2018, la cour d’appel de renvoi prend en compte cette interprétation posée par la Cour de cassation et prononce la nullité de la marque « Giant » pour défaut de distinctivité (CA Paris,
3 juillet 2018, n° 17/17762). La cour note que dans le secteur de la restauration rapide, les produits commercialisés sont souvent mis avant par leur quantité qui est visible dans leur dénomination même, systématiquement en langue anglaise. Ainsi la banalité de termes comme « long », « big » ou encore « double » impose que de tels signes usuels restent à la disposition de toutes les personnes qui y exercent leur activité et qu’aucun concurrent ne puisse les monopoliser et priver les autres de leur libre usage.
L’arrêt du 27 janvier 2021 rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation vient mettre un terme aux débats : la marque « Giant » est dépourvue de distinctivité car ce terme n’est pas forcément identifié par le consommateur en tant que marque mais plutôt comme une caractéristique quantitative des produits vendus. La Cour précise également que l’usage en tant que marque d’un signe dépourvu de caractère distinctif intrinsèque, fût-il continu, intense et de longue durée, ne rend pas nécessairement ce signe apte à identifier les produits visés comme provenant du titulaire de la marque, refusant ainsi d’admettre l’acquisition du caractère distinctif par l’usage.
Cet arrêt s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la chambre commerciale au sujet de l’appréciation de la distinctivité d’une marque. En effet, un signe intrinsèquement inapte à indiquer d’emblée au consommateur l’origine commerciale des produits ou services, c’est-à-dire les distinguer sans confusion possible de ceux qui ont une autre provenance commerciale, ne saurait bénéficier de la protection du droit des marques (Cass. com. 6 janvier 2015, I Love Paris,
n°13-17108).
Cet arrêt souligne les risques d’intenter une action en contrefaçon sur le fondement d’une marque dite faible. En effet, en réplique, le défendeur à l’action peut demander l’annulation de la marque du demandeur. Cette demande reconventionnelle est redoutable à un double égard. D’une part, parce qu’elle tend à obtenir un avantage distinct du simple rejet des prétentions du demandeur à savoir la disparition d’un droit de propriété intellectuelle. D’autre part, parce que son recours n’est soumis à aucune prescription : quae temporalia sunt ad agendum perpetua sunt, ad excipiendum. Il est alors toujours possible de soulever une exception de nullité comme moyen de défense dans le cadre d’une action en contrefaçon.
L’affaire « Giant » confirme donc la nécessité d’opérer une évaluation bénéfices-risques en amont d’une assignation en contrefaçon de marque ; il est donc un bon conseil, en droit comme en diététique, de ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre.
Samuel Brami