Arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 11 octobre 2023, n°21-24.646
La participation d’une personne n’ayant pas la qualité d’associé (suite à la nullité d’une cession de parts sociales) aux décisions collectives d’une SARL constitue une cause de nullité des assemblées générales au cours desquelles ces décisions ont été prises, dès lors que l’irrégularité est de nature à influer sur le résultat du processus de décision.
Le présent arrêt se prononçait sur l’effet de la nullité d’une cession de parts sociales sur les assemblées générales tenues postérieurement à la cession, avec le risque de nullité en cascade desdites assemblées.
En l’espèce, quelques années après une cession de parts sociales, les héritiers du cédant avaient assigné les cessionnaires en nullité de la cession et assigné la société pour demander la nullité des assemblées générales postérieures à la cession.
La Cour d’appel de Rouen, après avoir déclaré nulle la cession de parts, déclara en conséquence la nullité des associés générales tenues postérieurement.
Les cessionnaires formèrent alors un pourvoi pour demander la cassation de l’arrêt d’appel sur le fondement de l’article L223-27 du Code de commerce dernier alinéa (« toute assemblée irrégulièrement convoquée peut être annulée ») en estimant qu’il appartient au juge d’apprécier, au cas par cas, s’il y a lieu de prononcer l’annulation des délibérations subséquentes en tenant compte notamment de l’intérêt social, des effets perturbateurs qui pourraient résulter de l’annulation des décisions pour la société et de l’incidence concrète qu’aurait eu le vote du cédant sur le sens des délibérations contestées.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi et confirmé la solution de l’arrêt de la Cour d’appel en procédant toutefois à une substitution de motifs. La Cour de cassation a en effet statué sur le fondement des articles 1844 al. 1er et 1844-10 al. 3 du Code civil[1] considérant que le litige ne portait pas sur l’irrégularité de la convocation mais sur la participation de non-associés aux décisions collectives.
En conséquence, pour la Chambre commerciale de la Cour de cassation, il résulte de la combinaison des articles 1844 al.1 et 1844-10 al. 3 du Code civil que la participation d’une personne n’ayant pas la qualité d’associé aux décisions collectives d’une SARL constitue une cause de nullité des assemblées générales au cours desquelles ces décisions ont été prises, dès lors que l’irrégularité est de nature à influer sur le résultat du processus de décision.
La décision est logique, l’article 1844 du Code civil étant d’ordre public, sa violation est sanctionnée par la nullité des délibérations. Toutefois, la Cour de cassation ajoute une condition à l’article 1844-10 al.3 qui vient limiter le risque de nullité en indiquant que l’irrégularité doit être de nature à influer sur le résultat du processus de décision.
C’est ce point qui est important même si la Cour de cassation reprend un critère déjà retenu dans un précédent arrêt concernant des décisions d’une SAS prises en violation des statuts[2]. La Cour de cassation s’éloigne ainsi de sa position antérieure considérant que la nullité peut être prononcée en cas d’irrégularité touchant la qualité d’associé quel que soit sa participation au capital de la société[3].
En l’espèce, la Cour de cassation constate que les cessionnaires dont la qualité d’associé a été annulée avaient 450 parts sur les 500 composant le capital social et donc que l’irrégularité tenant à leur participation aux assemblées générales ne pouvait qu’être de nature à influer sur le processus de décision.
Toutefois, la Cour de cassation ne limite pas à une analyse strictement arithmétique. En effet, il n’est pas nécessaire de démontrer que les décisions auraient été différentes si la cession n’avait pas eu lieu mais qu’elles auraient pu l’être. L’emploi « de nature à influer » peut être autre chose qu’un simple vote (la présence de quelqu’un aurait pu, par sa présence ou son influence, influer sur le vote).
Il appartiendra donc à toute société, qui ne veut pas voir les délibérations adoptées par ses associés remises en cause suite à la nullité d’une cession de titres, de démontrer que l’absence d’une personne qui aurait dû être présente en qualité d’associé n’a pas été de nature à influer le vote. Dans le cas où la nullité d’une cession concerne un associé minoritaire, cette nullité ne devrait pas, sauf exception, rendre nulle les délibérations prises en la présence du cessionnaire ayant « perdu » postérieurement sa qualité d’associé.
[1] Art. 1844 dernier alinéa du code civil : « Tout associé a le droit de participer aux décisions collectives. »
Art. 1844-10 al. 3 code civil : « La nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent titre, à l’exception du dernier alinéa de l’article 1833, ou de l’une des causes de nullité des contrats en général »
[2] Arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 15 mars 2023, n°21-18.324, dit « Larzul 2 »
[3] Arrêt de la 3e Chambre civile de la Cour de cassation du 8 juillet 2015, n°13-27.248.