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CA Paris, Pôle 5, Ch. 1, 13 juin 2017

Par cet arrêt du 13 juin 2017, la Cour d’appel vient strictement faire respecter les frontières dessinées au sein d’accords de coexistence conclus entre deux sociétés qui s’étaient partagées une marque en fonction des pays.

La société pharmaceutique allemande titulaire notamment d’une marque française et d’une marque internationale « Merck », est également société mère de nombreuses filiales, dont plusieurs sont françaises.

Cette société est juridiquement distincte et totalement indépendante d’une société pharmaceutique américaine également dénommée Merck, qui a aussi plusieurs filiales en France.

Ces deux groupes de sociétés utilisant toutes deux le même nom pour exploiter une activité identique, des accords de coexistence ont été conclus en 1932 et en 1970, afin de définir les territoires sur lesquels chaque groupe pouvait licitement exploiter sa marque « Merck ». Par ces accords de coexistence, le groupe américain s’était notamment interdit d’exercer son activité sous le nom « Merck » sur le territoire français.

Après avoir notamment constaté que des filiales françaises de la société américaine :

–  utilisaient la marque « Merck » pour désigner une série de manuels médicaux,

–  exploitaient la marque en tant que meta-tag,

–  et avaient attribué à l’ensemble de leurs salariés des adresses électroniques reprenant en tant que nom de domaine la marque « Merck »,

la société allemande a assigné la société américaine en contrefaçon et concurrence déloyale.

S’agissant tout d’abord de l’utilisation par les sociétés françaises du groupe américain de la marque Merck pour une série de manuels médicaux, la Cour d’appel confirme le jugement de première instance, qui avait rejeté tout acte de contrefaçon ou de concurrence déloyale. La Cour d’appel estime que le Tribunal de grande instance a jugé à bon droit que l’usage de la marque dans ce cadre n’est pas fait à titre de marque, afin « de garantir l’identité du produit ou du service qu’il désigne », et ce « peu important (…) que plusieurs œuvres comprenant dans leur titre le terme « Manuel Merck » aient été publiées ». Cette position jurisprudentielle n’est pas nouvelle puisque la Cour de cassation s’était déjà prononcée en ce sens, estimant que dans pareil cas, le nom servait à désigner l’œuvre intellectuelle, et remplit une fonction différente de celle de la marque qui consiste à rattacher le produit à un opérateur économique considéré comme responsable de sa qualité (notamment Cass. Com., 12 juillet 2011).

En revanche, la Cour d’appel a considéré que l’exploitation de la marque « Merck » en tant que meta-tag était constitutif d’un acte de contrefaçon et de concurrence déloyale. Un tel usage permettait de diriger l’internaute en quête du terme « Merck » sur un moteur de recherche vers une liste de résultats comprenant un lien vers le site internet exploité par la société américaine.

Pour conclure à l’existence d’un acte de contrefaçon, et infirmer la décision rendue en première instance qui n’avait pas estimé le délit civil de contrefaçon caractérisé, la Cour juge qu’un tel usage :

–  est effectué dans la vie des affaires, et ce « peu important que ce signe ne soit pas visible par l’internaute » ;

–  et porte atteinte à la fonction d’indication d’origine, dès lors que « l’annonce ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou au contraire, d’un tiers (…) ». En l’espèce, la Cour estime que l’internaute normalement informé « ne peut se douter qu’il existe dans le monde deux laboratoires pharmaceutiques indépendants tous deux dénommés Merck (…) », et « sera donc nécessairement amené à penser qu’il existe au moins un lien » entre ces deux entreprises. La Cour d’appel ajoute qu’elle « ne peut que s’interroger sur le but recherché (…) », alors que les sociétés du groupe américain « ne peuvent exercer leur activité sous le nom de Merck sur le territoire français ».

La Cour estime également qu’un tel agissement est constitutif de concurrence déloyale, et juge, dans une formule un peu péremptoire (et qui peut susciter une interrogation au regard de l’exigence de caractérisation de faits distincts), que « par voie de conséquence », « les faits de concurrence déloyale fondée sur l’usage contrefaisant de la marque Merck (…) sont eux aussi établis ».

Enfin, la Cour d’appel a estimé que les juges de première instance avaient à bon droit jugé que l’usage du signe « Merck » au sein d’adresses électroniques (ainsi construite : prénom.nom@merck.com) ne constituait pas un acte de contrefaçon de marque, car cet usage permettait d’identifier des salariés de la société et non de désigner des produits ou des services proposés par la société. En revanche, la Cour d’appel estime que cet agissement est constitutif d’un acte de concurrence déloyale « en raison de la confusion qu’il peut engendrer quant à l’appartenance de ces employés et services (…) », alors que les accords de coexistence réservaient à la société allemande (et aux sociétés de son groupe) l’usage du signe « Merck » sur le territoire français.

Antoine Jacquemart

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