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CA Paris, Pôle 5, Ch. 1, 18 janvier 2012

La bande son interprétée pour être incorporée à l’adaptation audiovisuelle d’une pièce de théâtre relève du champ de la présomption de cession de l’article L. 212-4 du Code de la propriété intellectuelle.

Nous avons eu l’occasion de signaler dans un précédent article, un arrêt de la Cour d’appel de Paris qui semblait admettre que participe à la réalisation d’une œuvre audiovisuelle, le musicien dont la prestation est reproduite sur la bande originale du film, même s’il n’apparaît pas à l’image [Voir Netcom Octobre 2010].

Il s’agissait de l’enregistrement en 1957, de l’improvisation musicale de Miles Davis et de ses musiciens pour le film de Louis Malle « Ascenseur pour l’échafaud ». Dans cette affaire, la Cour avait jugé que l’interprétation d’un musicien réalisée pour constituer l’accompagnement musical des images du film est une interprétation musicale destinée à être incorporée aux images du film, et à ce titre réalisée pour les besoins de l’œuvre audiovisuelle. Les enjeux attachés à cette qualification sont considérables puisque le producteur audiovisuel peut alors invoquer à son profit le bénéfice de la présomption de cession de l’article L.212-4 du Code de la propriété intellectuelle. Tout en relevant que cette interprétation relevait du champ de l’article L.212-4 du Code de la propriété intellectuelle, elle en avait néanmoins écarté l’application motif pris de l’absence de contrat écrit prévoyant une rémunération distincte pour chaque mode d’exploitation. Cette solution était pour le moins étonnante puisque l’exigence d’un écrit n’a été introduite qu’en 1985 dans la loi et que l’article L.212-7 comporte en la matière une disposition expressément rétroactive destinée à pallier l’absence d’écrit pour les fixations antérieures au 1er janvier 1986.

La deuxième chambre du pôle 5 de la Cour vient d’adopter une solution comparable dans un arrêt du 18 janvier 2011, harmonisant ainsi la jurisprudence au sein du pôle de la Cour d’appel de Paris. Dans cette affaire, la SPEDIDAM reprochait à l’Institut National de l’Audiovisuel (INA), l’exploitation vidéographique sans autorisation de la captation d’une pièce de théâtre, « Le bourgeois gentilhomme », télédiffusée en 1968 par l’ORTF et qui incluait une partie musicale.

Dans cet arrêt, la Cour confirme selon une formule désormais usuelle que la SPEDIDAM n’est pas recevable à agir dans l’intérêt de musiciens non membres : « la SPEDIDAM n’est pas fondée à s’emparer de sa qualité de société de gestion collective pour revendiquer des droits dont elle n’est pas titulaire et s’arroger de manière universelle le droit de poursuivre, à la place de tout artiste-interprète victime supposée d’une atteinte à ses droits, l’indemnisation d’un préjudice subi par l’artiste concerné du fait de cette atteinte ».

Mais l’apport majeur de cet arrêt est de confirmer que le producteur audiovisuel bénéficie sur la bande son de la présomption de cession instituée par l’article L.212-4 du Code de propriété intellectuelle, même si la fixation n’est que phonographique, dès lors que l’enregistrement est spécifiquement interprété pour la réalisation d’une œuvre audiovisuelle.

La SPEDIDAM soutenait que le contrat n’avait pas été signé par les musiciens pour la réalisation d’une œuvre audiovisuelle et que faute d’apparaître à l’image, ils n’avaient pas participé à la réalisation d’une œuvre audiovisuelle « mais seulement à l’interprétation et à l’enregistrement d’une œuvre musicale autonome destinées à être synchronisée, en tant que bande sonore, à l’œuvre audiovisuelle ».

La Cour relève tout d’abord que les musiciens ont signé une feuille de présence spécifiant que l’enregistrement musical était destiné à être utilisé pour la bande son de l’œuvre audiovisuelle dont le titre est expressément visé et précisant que cette œuvre était destinée à être diffusée à la télévision. Elle relève également que les conditions générales d’engagement du musicien réservent à l’ORTF l’exclusivité de l’utilisation commerciale des prestations, la cession étant qualifiée de « libre de droits ».

La Cour relève enfin que « l’accompagnement musical n’est aucunement séparable de l’œuvre audiovisuelle mais en est partie prenante dès lors que son enregistrement est effectué pour sonoriser les séquences animées d’images et constituer ainsi la bande son de l’œuvre audiovisuelle » et que dès lors « la SPEDIDAM ne saurait sérieusement soutenir que faute d’apparaître à l’image, les musiciens ne sauraient être regardés comme ayant participé à la réalisation d’une œuvre audiovisuelle ».

Selon la Cour en effet, l’application d’un tel critère reviendrait à opérer une distinction entre les artistes interprètes selon qu’ils apparaissent ou non à l’image, distinction qui ne résulte ni de l’article L.112-2 du CPI qui définit l’œuvre audiovisuelle comme une « séquence animée d’images sonorisées ou non », ni de l’article L.212-4 du même code qui vise la prestation de l’artiste interprète quelle que soit sa nature. 

La Cour en déduit que l’INA était fondé à ne pas solliciter de nouvelle autorisation des  artistes interprètes pour l’exploitation de leur prestation. N’étant saisie que d’une demande de condamnation à titre de dommages et intérêt, la Cour n’a pas eu à se prononcer sur la question de la détermination du montant dû au titre de l’exploitation vidéographique. Il convient de rappeler en effet que si le producteur est dispensé de solliciter l’autorisation de l’artiste interprète en raison de la présomption de cession, une rémunération distincte doit normalement être fixée pour chaque mode d’exploitation.

Reste à apprécier si, en l’absence d’écrit, la Cour maintiendra son interprétation, que le bénéfice de la présomption de cession des droits au profit du producteur audiovisuel est subordonné à l’autorisation écrite de l’artiste interprète pour les prestations fixées avant le 1er janvier 1986.

Emmanuel EMILE-ZOLA-PLACE

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