Par une Ordonnance du 31 août 2012, le premier président de la Cour d’appel de Paris a validé les conditions d’exécution de la perquisition fiscale diligentée en juin 2011 au sein des locaux de la société Google France, en considérant notamment que les agents du fisc étaient en droit de saisir des fichiers stockés sur des serveurs situés à l’étranger appartenant à Google Ireland.
Dans le cadre de son pouvoir d’enquête, l’administration fiscale peut solliciter l’autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD) pour mener des opérations de visite et de saisie au sein de locaux professionnels ou d’habitation situés en France, lorsqu’elle présume qu’un contribuable soustrait une partie de ses revenus à l’impôt français. Ces opérations doivent en principe lui permettre de rassembler des preuves susceptibles d’être utilisées dans le cadre d’un contrôle fiscal futur.
En l’espèce, l’administration cherchait à collecter des éléments lui permettant d’imposer en France une part des profits réalisés par la société Google Ireland. Cette dernière est en effet la seule société du groupe à être titulaire d’une licence lui permettant d’exploiter les technologies AdWords et AdSense dans l’ensemble de la région EMOA (Europe-Moyen-Orient-Afrique), la société Google France n’assurant que des prestations de marketing au profit de la société irlandaise. La démarche de l’administration avait donc pour objectif de mettre la main sur des documents qui lui permettraient de démontrer que Google Ireland utilise dans le cadre de son activité les moyens matériels et humains de Google France et, partant, dispose d’un établissement stable en France dont les bénéfices auraient dû être soumis à l’impôt sur les sociétés français.
Depuis la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), les contribuables ayant fait l’objet d’une perquisition fiscale ont la possibilité de saisir la Cour d’appel afin de contester les modalités d’exécution des opérations de visite et de saisie. Google a dans ce contexte demandé au premier président de la Cour d’appel de Paris l’annulation des opérations de saisie intervenues en 2011, au motif principal que l’administration avait accédé à des documents se trouvant sur des serveurs hébergés à l’étranger en utilisant des procédés déloyaux, les agents du fisc s’étant connectés au réseau Google grâce aux mots de passe communiqués par les salariés de la société française.
La Cour d’appel a rejeté l’ensemble des arguments développés par Google :
(i) elle a considéré notamment que le JLD, en permettant aux agents de l’administration fiscale de procéder à la saisie de pièces et documents dans les locaux visités quel qu’en soit le support, avait autorisé par là même la saisie de fichiers consultables depuis les ordinateurs présents dans ces locaux, même si ces fichiers étaient stockés sur des serveurs situés hors de France.
Selon la Cour, « toute donnée située sur un serveur même localisé à l’étranger accessible à partir d’un ordinateur se trouvant sur les lieux visités [doit être] considérée comme étant détenue à l’adresse à laquelle se trouve cet ordinateur » ;
(ii) sur le caractère déloyal de la procédure, la Cour a jugé l’argument infondé en faisant valoir que les salariés se devaient en tout état de cause de communiquer dans le cadre d’une perquisition fiscale toutes les informations permettant à l’administration de saisir les documents se trouvant dans les lieux visités. Elle a relevé en outre que les opérations de visites étaient effectuées sous le contrôle d’officiers de police judiciaire qui pouvaient être saisis en présence d’une difficulté, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce ;
(iii) la Cour a enfin refusé l’argument selon lequel la procédure mise en œuvre n’apportait aucune garantie en ce qui concerne la véracité des fichiers saisis. Google s’appuyait à ce titre sur les conclusions d’un rapport d’expert qui estimait que la chaîne d’intégrité de la preuve n’avait pas été respectée par l’administration, le calcul des empreintes numériques ayant eu lieu après la copie. La Cour a fait valoir que la remise de cinq CD-Rom aux sociétés Google, contenant trois fichiers informatiques saisis, constituait un protocole opératoire suffisamment précis pour protéger les droits de la défense, puisqu’elle permettait à Google Ireland et Google France de vérifier la fidélité de la copie des pièces saisies par rapport aux documents originaux, ce qui n’aurait pas pu être le cas si l’administration leur avait remis un procès-verbal établi par un huissier de justice.
Si l’administration a gagné dans cette affaire une première manche, il n’est pas évident qu’elle parvienne à remporter la seconde, tant il lui sera difficile de démontrer que Google Ireland a effectivement généré des profits taxables en France.
En effet, au-delà des modalités d’exécution de la procédure de saisie, cette affaire illustre bien l’embarras dans laquelle se trouve l’administration fiscale pour trouver un fondement valable à l’imposition en France les géants de l’internet, en particulier ceux qui vivent de la publicité : Google, Facebook et Twitter.
Toute la difficulté réside dans le fait de trouver un critère de rattachement des profits à la France. Jusqu’à l’avènement du numérique, la publicité était territorialisée : les annonceurs achetaient des espaces sur des médias localisés en France. Avec le développement d’internet, il n’est plus nécessaire d’utiliser des moyens situés en France pour faire de la publicité auprès d’internautes français.
Le rapport Colin sur la fiscalité du numérique, qui doit être remis au gouvernement en décembre prochain, devrait prendre position sur cette question.
Christophe MOREAU