CAA Paris 11 octobre 2024 n°22PA04107
Dans l’attente d’une décision du Conseil d’Etat, la cour administrative d’appel de Paris vient à son tour de se prononcer dans un sens défavorable aux groupes d’entreprises, lorsque la volonté d’honorer les sommes dues aux créanciers tout en préservant leur renom, les amène à avancer à une société filiale un prêt ou compte courant, auquel la société prêteuse et actionnaire est finalement contrainte de renoncer au moment de la décision de cesser l’activité déficitaire et de liquider la filiale.
Dans l’affaire jugée, une société Groupe Adeo SA avait fait à une filiale turque (dont elle détenait 90% du capital) une avance qui devait permettre de désintéresser tous les créanciers de la filiale, aux termes d’un protocole conclu avec elle au moment de la décision de cesser son activité. Dans ce contexte, la liquidation amiable de la filiale turque a été décidée en assemblée générale, et Group Adeo a constaté dans ses comptes l’avance sur sa filiale en créance irrécouvrable.
L’administration fiscale a toutefois considéré :
- que la société mère avait non pas perdu mais au contraire nécessairement et volontairement renoncé au recouvrement de sa créance compte tenu du protocole précité, qui avait seul permis de mener la liquidation amiable de la filiale ;
- que cette renonciation était constitutive d’un abandon de créance à caractère financier dont la déduction serait interdite par l’article 39.13 du CGI, à défaut de procédure de conciliation ou de procédure collective judiciaire.
La société défendait que la législation locale autorisait la liquidation amiable d’une société sans annulation des dettes de ses actionnaires mais ne semble pas l’avoir réellement prouvé au cours de l’instance. En tout état de cause, la cour écarte l’argument par une position de principe peu compatible avec la réalité économique des entreprises en difficulté en indiquant que le caractère définitivement irrecouvrable d’une créance implique que le contribuable justifie de vaines diligences en vue de son recouvrement, alors qu’au cas particulier le protocole conclu avec la filiale démontrait au contraire une renonciation « volontaire » à l’avance accordée.
Soulignons que le sujet se pose dans les mêmes termes pour les filiales étrangères comme jugé ci-dessus, et pour les filiales françaises (cf. Cour administrative d’appel de Bordeaux (21/10/2021, n° 19BX03240).
Dans l’affaire Adeo, la cour de Paris a aussi jugé que l’abandon de créance, malgré son caractère financier non déductible, ne pouvait pas venir en majoration du prix de revient des titres de la filiale liquidée pour le calcul des moins-values d’annulation des titres, à défaut d’avoir eu pour effet de rendre la situation nette de la filiale positive. Cette position découle de la jurisprudence du Conseil d’Etat qui sur le sujet est antérieure à la réforme de 2012 sur les règles de déductibilité fiscale des abandons de créance, et reprise sans précisions additionnelles au Bofip. Ainsi jugé qu’une filiale dont l’actif net n’est pas négatif a pour contrepartie l’augmentation de la valeur de la participation détenue dans cette filiale ; en l’absence de toute contribution de même nature consentie par les actionnaires minoritaires, cette augmentation de valeur est égale au montant de la subvention multiplié par le pourcentage du capital de la filiale détenu par la société mère. En conséquence, la société mère devra tenir compte, pour la détermination du prix de revient de sa participation, de la partie de l’abandon de créance (alors non déductible) qui valorise sa participation pour calculer la plus-value réalisée lors de la vente ultérieure (CE Rexel 16/03/2001 n° 19958 ; BOI-BIC-BASE-50-20-10 n° 40 du 29/01/2013).
A ce jour, on peut légitimement s’interroger sur la logique du maintien de la condition restrictive de revalorisation de la filiale pour pouvoir tenir compte de l’abandon de créance dans le prix de revient des titres, puisque la non-déductibilité de l’abandon de créance :
- ne dépend plus de la revalorisation de la filiale, et
- cette non-déductibilité des sommes contribuées était et demeure raisonnablement la justification de la majoration du prix de revient fiscal de sa filiale pour la société mère.
Malgré tout, pour le calcul de la moins-value à court terme, on risque d’être confronté à l’écueil de l’article 39 quaterdecies 2bis du CGI aux termes duquel, en cas de recapitalisation d’une filiale préalable à son transfert moins de deux ans après, est non déductible la part de la perte à court terme correspondant à la « différence entre la valeur d’inscription des titres nouveaux en comptabilité et leur valeur réelle, à la date de leur émission ». Un abandon de créance n’entrera pas comptablement dans le prix de revient des titres de la filiale aidée. Pour autant, il manquerait de cohérence qu’un abandon de créance financier accordé au-delà de l’augmentation de capital reçoive un traitement fiscal différent de celui de la perte sur titres stricto sensu, si la valeur des titres reste négligeable ou nulle malgré le soutien reçu sous ses différentes formes.