CA Paris, pôle 5, chambre 2 31 mai 2019
L’arrêt rendu par la Cour d’appel sur renvoi après Cassation est l’occasion de faire un point sur la prescription en matière civile et plus particulièrement la question du point de départ. Pour mémoire, depuis la réforme sur la prescription en matière civile par la loi du 17 juin 2008, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans, à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer (article 2224 du Code civil). Une loi du 11 mars 2014 a harmonisé le délai quinquennal appliqué aux actions en contrefaçon de droit d’auteur à celles portant sur des titres de propriété industrielle. Seul reste la question du point de départ.
Avant la loi Pacte du 22 mai 2019, le point de départ des actions en contrefaçon portant sur des brevets, marques, dessins et modèles ou obtentions végétales était de 5 ans à compter des faits qui en sont la cause. Celui-ci est désormais de 5 ans « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître le dernier fait lui permettant de l’exercer ».
Dans l’affaire commentée, l’ayant-droit d’un chanteur, tentait de s’opposer en 2013 à la commercialisation d’albums de compilations dédiées à cet artiste mis en vente en 2002, 2003 et début 2008, en invoquant l’absence d’autorisation de l’artiste de son vivant ou de ses ayants-droit, une qualité sonore médiocre et l’utilisation sans autorisation de photographies de l’artiste. La demanderesse soutenait n’avoir eu connaissance de la commercialisation litigieuse qu’en 2012, date à laquelle une mise en demeure avait été adressée au producteur.
En défense, le producteur invoquait la prescription de l’action soulignant que les supports physiques avaient cessé d’être commercialisés depuis juin 2008, date à laquelle le contrat de licence l’autorisant à commercialiser lesdits enregistrements avait pris fin.
Tant le tribunal que la cour d’appel avaient déclaré irrecevable car prescrite l’action relative aux supports physiques en retenant comme point de départ, en l’absence de date certaine de la dernière commercialisation des supports, soit la date de fin de contrat régissant la commercialisation des supports physiques, soit la date de commercialisation mentionné sur les CD, date à laquelle l’artiste de son vivant ou son ayant droit a eu ou aurait dû en avoir connaissance.
La Cour de cassation saisie par l’ayant-droit de l’artiste, sanctionne la cour d’appel pour avoir déclarées irrecevables les demandes relatives aux supports physiques et retenu comme point de départ du délai de prescription de l’action, la date de fin de contrat (2008) régissant la commercialisation des albums alors que la demanderesse soutenait qu’elle n’avait pas eu connaissance des faits avant 2012.
La Cour d’appel de renvoi confirme le jugement et retient la prescription après avoir effectué une analyse minutieuse des pièces produites par la demanderesse pour justifier de la date à laquelle elle prétendait avoir eu connaissance des faits reprochés. La Cour rappelle à cet égard que la charge de la preuve incombe à la demanderesse et qu’en l’espèce, aucun document produit ne permettait d’établir les circonstances dans lesquelles les faits incriminés auraient été portés à sa connaissance en 2012. A cet égard, la mise en demeure de 2012 envoyée au producteur par le conseil de la demanderesse n’indiquait pas que cette dernière venait de découvrir les exploitations non autorisées, ni ne précisait la date de la connaissance des faits.
La Cour précise qu’une réitération des exploitations en 2012 qu’il appartient également à la demanderesse de justifier, serait de nature à faire courir un nouveau délai de prescription. En l’espèce, la Cour constate que la facture produite pour l’achat de CD sur un site en ligne ne permettait pas d’imputer la commercialisation au défendeur.
Il sera précisé que la Cour de cassation avait rejeté les deux autres moyens du pourvoi relatifs au rejet des demandes portant sur les enregistrements sur supports numériques et sur le droit à l’image de l’artiste décédé. La Cour de cassation avait ainsi confirmé l’analyse des juges du fond selon laquelle l’exploitation d’interprétations d’un artiste sous forme de compilation, n’est pas en elle-même de nature à caractériser une atteinte au respect de ses interprétations et le droit d’agir au respect de la vie privée ou de l’image s’éteint au décès de la personne concernée et n’est pas transmissible à ses héritiers.