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CJUE, 25 novembre 2021, aff. C-102/10 stWL c. eprimo

L’envoi de messages de prospection commerciale par courrier électronique est spécifiquement règlementé par la directive de l’Union Européenne n° 2002/58, dite directive « ePrivacy », telle que modifiée par la directive n° 2009/136. Pour rappel, la directive impose d’obtenir le consentement des destinataires préalablement à l’envoi de ce type de message, sauf lorsque la prospection concerne des produits ou services similaires à ceux déjà acquis par les destinataires auprès de l’expéditeur. En France, ces règles ont été transposées à l’article L34-5 du Code des postes et communications électroniques et leur respect est susceptible d’être contrôlé notamment par la CNIL et la DGCCRF.

Dans un arrêt du 25 novembre 2021, la CJUE livre une interprétation large de la notion « d’utilisation de courrier électronique à des fins de prospection directe » ayant pour conséquence de soumettre à ce régime l’affichage de certaines publicités au sein d’une boite de réception de courrier électronique.

Le litige au fond concernait deux fournisseurs d’électricité concurrents, dont l’un avait commandé l’affichage d’annonces publicitaires dans les boîtes de réception d’utilisateurs d’un service de courrier électronique financé par la publicité. Bien que ne constituant pas des courriers électroniques, les annonces publicitaires étaient insérées directement au sein de la liste des emails reçus. Elles ne se distinguaient visuellement de ceux-ci que par le fait que la date était remplacée par la mention « Annonce », qu’aucun expéditeur n’était mentionné et que le texte apparaissait sur un fond gris. Lorsque les utilisateurs cliquaient sur la publicité affichée, ils étaient redirigés vers le site de l’annonceur.

Le fournisseur d’électricité ayant fait diffuser les annonces fut assigné par l’un de ses concurrents devant le tribunal régional de Nuremberg, au motif que cette pratique publicitaire impliquant l’utilisation de courrier électronique sans le consentement exprès préalable du destinataire serait contraire aux règles en matière de concurrence déloyale en droit allemand. L’affaire a été portée jusque devant le Bundesgerichtshof (équivalent de la Cour de cassation en matière civile) qui a estimé que sa résolution nécessitait d’interroger la Cour de Justice de l’Union Européenne.

En synthèse, la CJUE devait déterminer si l’affichage des publicités tel que décrit ci-dessus relevait de la notion d’« utilisation […] de courrier électronique à des fins de prospection directe », au sens de la directive ePrivacy et devait donc être soumis au régime spécifique y afférent.

La Cour a répondu positivement à cette question, en estimant que :

  • La directive ePrivacy ne fixe pas de manière exhaustive la liste des moyens techniques de communication électronique et la protection de la vie privée doit être garantie indépendamment des moyens effectivement utilisés.
  • En l’occurrence, le moyen de communication utilisé pour l’affichage des publicités était bien le courrier électronique.

Pour arriver à cette conclusion, la Cour s’est placée du point de vue du destinataire pour lequel : « [le] message publicitaire est affiché […] dans un espace normalement réservé aux courriels privés » ce qui créée « un risque de confusion » pour l’utilisateur entre les deux types de messages. Par ailleurs, la Cour note que « l’apparition des messages publicitaires en cause au principal dans la liste des courriers électroniques privés de l’utilisateur entrave l’accès à ces courriers d’une manière analogue à celle utilisée pour les courriels non sollicités (appelés également « spam ») dans la mesure où une telle démarche requiert la même prise de décision de la part de l’abonné en ce qui concerne le traitement de ces messages ».

En synthèse, le fait que les messages publicitaires ressemblent à des emails suffit pour les considérer comme tels au regard de la règlementation ePrivacy.

  • La Cour a également estimé que les annonces publicitaires en cause remplissent les critères de la prospection directe puisqu’elles apparaissent directement dans la boite de réception électronique privée de l’utilisateur. En effet pour la Cour, « il importe peu que la publicité en cause soit adressée à un destinataire prédéterminé et individuellement identifié ou bien qu’il s’agisse d’une diffusion massive et aléatoire auprès de multiples destinataires. Ce qui importe est qu’il existe une communication à finalité commerciale qui atteint directement et individuellement un ou plusieurs utilisateurs de services de messagerie électronique en étant insérée dans la boîte de réception du compte de messagerie électronique de ces utilisateurs. »

En conséquence, l’affichage des annonces en cause nécessitait le consentement préalable des utilisateurs du service de courrier électronique. Sur ce point, la Cour a laissé à la juridiction de renvoi le soin de vérifier qu’un tel consentement avait bien été obtenu, tout en rappelant que ce consentement devait correspondre, au sens du RGPD, à une manifestation de volonté « libre, spécifique, éclairée et univoque » de la personne concernée, prenant la forme d’une déclaration ou d’« un acte positif clair » marquant son acceptation du traitement des données à caractère personnel la concernant.

Cette décision devrait conduire à s’interroger sur le régime à appliquer à d’autres pratiques publicitaires qui peuvent être rapprochées de l’envoi de messages par courrier électronique au sens strict (c’est-à-dire par exemple l’envoi d’emails, de SMS ou les notifications « push »).

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