Prise en compte de la position du salarié dans la recherche de reclassement due à une inaptitude

Cass. Soc. 23 novembre 2016, 14-26398 ; Cass. Soc. 23 novembre 2016, 15-18092

Dans un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation juge désormais qu’il peut être tenu compte de la position prise par le salarié déclaré inapte pour apprécier le périmètre de recherche des offres de reclassement qui s’impose à l’employeur avant de pouvoir envisager un licenciement.

Lorsqu’un salarié a été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail, son employeur ne peut pas envisager la rupture de son contrat de travail avant d’avoir procédé à une recherche de reclassement (art. L1226-2 et s. et art. L1226-10 et s. c. trav.). Cette obligation de recherche de reclassement doit être menée « tant au sein de l’entreprise que dans les entreprises dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d’y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel » (notamment CE, 30 mai 2016, 387338).

Autrement dit, si l’entreprise appartient à un groupe, les possibilités de reclassement doivent être effectuées dans l’ensemble dudit groupe, y compris à l’étranger. A défaut, le licenciement éventuellement ensuite prononcé pour inaptitude et impossibilité de reclassement sera jugé sans cause réelle et sérieuse (notamment Cass. Soc. 14 décembre 2011, 10-19652).

Or, jusqu’à présent la Cour de cassation jugeait que l’employeur devait démontrer avoir effectué ses recherches de reclassement dans l’ensemble du groupe, y compris à l’étranger, « quelle que soit la position prise par le salarié ». Ainsi avait-il été jugé, par exemple, que n’avait pas respecté son obligation de reclassement l’employeur qui avait limité ses recherches de reclassement à la région toulousaine « à la demande expresse du salarié ». Le licenciement était donc sans cause réelle et sérieuse car « la société, qui faisait partie d’un groupe international disposant de plusieurs dizaines de sites, ne justifiait pas, au-delà de deux propositions faites au salarié, avoir effectué toutes les recherches utiles dans toutes les entreprises du groupe dont les activités, l’organisation et le lieu d’exploitation permettaient la permutation de tout ou partie du personnel » (Cass. Soc. 14 décembre 2011, 10-24049).

Dans deux arrêts rendus le 23 novembre 2016, la Cour de cassation a fait un revirement de jurisprudence. Désormais, dans le cadre de son obligation de reclassement à la suite d’une inaptitude d’un salarié constatée par le médecin du travail, l’employeur « peut tenir compte de la position prise par le salarié déclaré inapte » (Cass. Soc. 23 novembre 2016, 14-26398 ; Cass. Soc. 23 novembre 2016, 15-18092).

Les conséquences sont considérables. Il est incontestable que nombre de salariés ne souhaitent pas se voir reclasser à un poste qui nécessiterait un déménagement, d’autant plus s’il devait s’effectuer à l’étranger. Les employeurs sont donc à présent autorisés à prendre en considération les avis du salarié.

Ainsi, dans un des deux arrêts, le salarié avait exprimé son refus « d’être reclassé dans un poste loin de son domicile ». La haute juridiction a donc rejeté le pourvoi en cassation formé contre l’arrêt de la cour d’appel qui avait constaté que « le salarié avait refusé des postes proposés en France en raison de leur éloignement de son domicile et n’avait pas eu la volonté d’être reclassé à l’étranger » (Cass. Soc. 23 novembre 2016, 14-26398).

La question se pose de la possibilité désormais pour l’employeur d’adresser, au salarié déclaré inapte, un questionnaire sur ses choix concernant son éventuel reclassement (avec notamment ses restrictions s’agissant de la localisation des postes à proposer). Il s’agirait de procéder à l’instar de ce qui se fait lors des procédures de licenciement pour motif économique (art. L1233-4-1 et art. D1233-2-1 c. trav.). La pratique et la jurisprudence confirmeront ou non cette possibilité.

A noter que la position du salarié n’est pas nécessairement expresse ; elle peut résulter de son comportement. Ainsi, dans l’autre arrêt, la Cour de cassation valide la décision de la cour d’appel qui « a énoncé qu’il ne pouvait être fait grief à l’employeur de ne pas avoir étendu ses recherches aux sociétés européennes du groupe au sein desquelles la société XX avait proposé des postes à d’autres salariés dans la mesure où l’intéressée n’avait pas répondu aux propositions de postes présentés en France ». La Cour de cassation en conclut que « la salariée n’avait pas accepté des postes à Strasbourg et fait ressortir qu’elle n’avait pas eu la volonté d’être reclassée au niveau du groupe ». Il a donc été jugé que licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 23 novembre 2016, 15-18092).

Il sera donc possible d’interpréter la volonté du salarié et, subséquemment, d’apprécier la qualité des démarches de reclassement effectuées par l’employeur. A noter que dans les deux arrêts du 23 novembre 2016, la Cour de cassation affirme que « l’appréciation du caractère sérieux de la recherche de reclassement relève du pouvoir souverain des juges du fond ».

Romain PIETRI

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