Prix de transfert : des justifications validant l’absence de redevances de marque de la part des filiales étrangères
Par une décision récente, le Tribunal administratif de Montreuil a jugé que l’Administration fiscale ne peut pas, en l’absence d’éléments de comparaison pertinents, qualifier l’absence de perception de redevances de marque par une société-mère auprès de ses filiales étrangères d’acte anormal de gestion ni de transfert de bénéfice hors de France.
Par principe si l’administration constate que les prix facturés par une entreprise française à une entreprise étrangère qui lui est liée sont inférieurs à ceux pratiqués entre des entreprises similaires dépourvues de liens de dépendance, elle établit a priori l’existence d’un avantage qu’elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l’entreprise française (sauf pour l’entreprise à démontrer une contrepartie de valeur équivalente). En revanche, à défaut d’avoir procédé à une telle comparaison avec des entreprises similaires dépourvues de liens de dépendance, l’administration qui ne peut pas alors invoquer une présomption de transfert de bénéfices, doit établir l’existence d’un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du service concerné pour démontrer l’existence d’une libéralité.
Dans cette affaire, la société-mère du groupe Carrefour, spécialisé dans la grande distribution, avait conclu des contrats prévoyant la mise à disposition, au profit de ses filiales étrangères, sans perception de redevances, de sa marque-enseigne. A l’occasion d’une vérification de comptabilité, l’Administration fiscale a contesté l’absence de redevances, puis évalué et intégré le montant de ces redevances dans la base taxable à l’impôt sur les sociétés de la société-mère française.
Pour ce faire, l’Administration a comparé les filiales en cause avec trois autres filiales du groupe Carrefour et cinq filiales de groupes similaires agissant sur le marché européen (France, Pologne, Hongrie, Italie) alors que les filiales étrangères concernées évoluaient sur le marché européen (Grèce, Suisse) mais également sur les marchés turc, sud-américain et asiatique.
La société contestait la pertinence des comparaisons réalisées par l’Administration. D’une part, les comparaisons portaient toutes sur des relations intra-groupes et non entre des entreprises indépendantes. D’autre part, les sociétés retenues par l’Administration pour la comparaison opéraient sur des marchés différents, au regard de leur zone géographique et de leurs caractéristiques. Or, le groupe Carrefour a pu prouver que la notoriété de la marque variait sensiblement selon les pays et les marchés. Egalement, les contrats retenus à titre comparatif avaient des modalités d’application différentes des contrats critiqués. Les contrats critiqués laissaient notamment à la charge des filiales étrangères l’ensemble des actions de développement de la marque, contrairement aux contrats de type franchise retenus pour la comparaison. Face à ces critiques, l’administration prétendait avoir tenu compte des spécificités des comparables invoqués en neutralisant le coût de l’accès à la politique commerciale et en tenant compte des contextes locaux.
Après une analyse circonstanciée de ces éléments, le Tribunal donne raison au groupe Carrefour et écarte la qualification de renonciation à recettes constitutive d’un transfert indirect de bénéfices à l’étranger.
Cette décision reprend la démarche et l’analyse de principe du Conseil d’Etat menées dans un arrêt Cap Gemini du 7 novembre 2005 (n° 266436) dans des circonstances relativement similaires. Dans l’affaire Cap Gemini, l’administration s’était bornée, pour établir l’existence d’un avantage consenti par une société mère à ses filiales étrangères, à se référer aux redevances perçues pour l’utilisation d’une marque et d’un logo par la société mère de ses filiales françaises au cours des années en litige et à celles perçues de ses filiales étrangères au cours d’années postérieures. Ce faisant, le Conseil d’Etat avait jugé qu’elle n’avait pas établi que la société mère, en ne percevant pas de rémunération de ses filiales étrangères, leur avait ainsi consenti un avantage alors que cette marque et ce logo dont la valeur est susceptible de varier en fonction du temps ou du marché, étaient alors peu connus sur les marchés des filiales étrangères, parfois issues du rachat d’entreprises y ayant associé leur propre marque.
Ces décisions, bien que favorables aux entreprises, illustrent la nécessité, pour ces dernières, de pouvoir justifier les prix des transactions intra-groupes (« les prix de transfert ») au moyen d’études visant à appréhender l’environnement économique, juridique et financier de l’activité exercée sur les différents marchés, et via une analyse des fonctions, des risques et des actifs de chaque société du groupe, en étayant dans toute la mesure du possible les choix effectués d’éléments de comparaison pertinents avec des entreprises tierces.
Au-delà des obligations documentaires qu’avaient jusqu’à présent les entreprises sur ce sujet, rappelons pour finir que la loi 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale a introduit à la charge des plus grandes entreprises une obligation déclarative annuelle portant sur une version allégée de leur documentation sur les prix de transfert. La transmission des informations à l’administration devra s’effectuer dans les 6 mois du dépôt de la déclaration de résultats de l’exercice, et pour la 1ère fois au plus tard le 20 novembre 2014.
Sylvie CANONGE
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