Le droit d’auteur est en grande partie imprégné de la distinction entre l’œuvre et son support. Un jugement du tribunal de grande instance de Paris rendu le 13 mars 2015 apporte un exemple intéressant de l’application de cette distinction au numérique.
La photographe avait également demandé au juge des référés d’ordonner que soit établie la liste descriptive de la totalité des photographies numérisées par l’agence. Cependant, le repreneur de l’agence contestait que la propriété des fichiers numériques revienne à la photographe. L’argumentation du repreneur convint le juge qui rejeta la demande de la photographe.
Le repreneur a cependant constaté quelques semaines plus tard que la photographe utilisait les fichiers numériques sur son site internet ainsi que sur son compte Facebook. En conséquence, il l’a assignée sur le fondement de la faute commise par cette dernière, lui reprochant de s’être procuré et d’avoir utilisé frauduleusement lesdits fichiers qu’il estimait être sa propriété.
L’argumentation des parties s’est concentrée sur la question de la titularité des droits de propriété portant sur les fichiers numériques. Le repreneur soutenait en être propriétaire car l’agence reprise avait supporté le coût de la numérisation des clichés argentiques et donc de la création des fichiers. La photographe estimait quant à elle que peu important le propriétaire originel des fichiers, ceux-ci n’avaient de toutes façons pas pu être transmis au repreneur de l’agence, car le contrat de cession ne le prévoyait pas.
Le tribunal suit le raisonnement du repreneur de l’agence. En premier lieu, il qualifie le fichier numérisé de « support de l’œuvre », constituant un « élément corporel ». Ensuite, les juges confirment que l’agence était devenue propriétaire des fichiers numériques car elle avait supporté le coût de la numérisation des clichés argentiques. Enfin, le contrat de cession prévoyant que la propriété des éléments corporels appartenant à l’agence serait transmise au repreneur, le tribunal conclut que ce dernier était bien propriétaire des fichiers numérisés litigieux.
En conséquence, la photographe n’était pas en droit d’utiliser les fichiers numériques, supports appartenant au repreneur, sur son compte Facebook et sur son site internet. Cependant, le tribunal rappelle ici que, si les supports appartiennent au repreneur, les œuvres « fixées » sur ces supports appartiennent à la photographe, de sorte que le repreneur ne pouvait exploiter les fichiers numériques sans l’autorisation de celle-ci. Dès lors, les fichiers numériques n’avaient aucune valeur marchande pour le repreneur, si bien que, la photographe ayant en outre cessé de les utiliser, le tribunal fixe le préjudice du repreneur à la somme de mille euros.
Ce jugement soulève plusieurs interrogations. Tout d’abord, s’il ne fait pas de doute que les fichiers informatiques sont des « supports » de l’œuvre numérisée, il est plus étonnant que ces fichiers, qui ne sont en réalité que de l’information, puissent être qualifiés de biens « corporels ». Ensuite, selon ce jugement, la propriété de ces fichiers revient à celui qui supporte le coût de leur création, mais qui est vraisemblablement aussi à l’initiative de la numérisation. En l’espèce, la numérisation avait pourtant été réalisée dans le cadre d’un mandat de gestion et d’exploitation des clichés pour le compte de la photographe. Il semble cependant que l’agence ait agi ici de sa propre initiative et ait exposé des coûts qui n’étaient pas couverts par les honoraires payés par la photographe. Dans le cas contraire, la solution quant à la titularité des droits de propriété sur les fichiers aurait pu être différente. Dans tous les cas, il est recommandé de veiller à ce que les contrats organisent expressément la titularité ou la cession des droits de propriété sur les fichiers numériques.
Sylvain NAILLAT