Aux termes d’un contentieux engagé depuis près de 20 ans, le Conseil d’Etat a récemment rendu un arrêt qui constitue une nouvelle illustration de la frontière parfois délicate entre charges déductibles du résultat et dépenses constitutives d’un actif à immobiliser au bilan en matière de redevances de licence de marques.
A priori, les redevances de licences de marques constituent des charges, et un arrêt de principe remontant à 1996(CE 21-8-1996, Sife, n° 154488) encadre strictement les conditions d’immobilisation des concessions de droits de propriété industrielle. Ces redevances ne doivent être immobilisées que lorsque le contrat de concession présente cumulativement les trois caractéristiques suivantes : être source régulière de profit, ce qui a conduit la jurisprudence à exiger que les droits concédés soient conférés à titre exclusif, être doté d’une pérennité suffisante et offrir une cessibilité des droits concédés.
Pourtant, un abondant contentieux a perduré, et les décisions de jurisprudence continuent à éclairer de façon nuancée la portée de ces critères. Dans l’affaire ici tranchée, le Conseil d’Etat refuse finalement la qualification de charges, dans les circonstances suivantes.
Etait essentiellement en question la pérennité des droits concédés.
En 2009, le Conseil d’Etat avait jugé dans cette même affaire qu’on ne devait pas déduire de la seule durée des contrats de concession que les droits sont dotés d’une pérennité suffisante, sans examiner les modalités de leur renouvellement, de leur résiliation ou de leur dénonciation, position qui a sans doute alors redonné à la société l’espoir de voir ses dépenses reconnues comme des charges. Aujourd’hui, le Conseil d’Etat précise à titre liminaire que la condition de pérennité s’apprécie au regard des seules facultés de résiliation du concédant, quelles que soient les conditions/facilités de résiliation par le licencié.
Sur le fond, la situation était la suivante.
La société redressée était la filiale à 100 % d’une autre société ayant conclu plusieurs contrats de concession de licence exclusive de marques avec diverses sociétés (tierces) et une personne physique, propriétaires desdites marques. La filiale à laquelle les droits étaient sous-licenciés devait commercialiser ses produits sous les marques en question.
Trois contrats étaient conclus pour une durée de cinq ou six ans et renouvelables par tacite reconduction pour une période de cinq ans. Les deux premiers renouvellements étaient automatiques sous réserve que les redevances versées au titre des deux dernières années de la période considérée dépassent le montant minimum de redevances garanti par le licencié (société mère) au concédant propriétaire de la marque pour chacune de ces deux années. Dès lors que cette condition était respectée, la durée garantie des droits d’exploitation de marques était de quinze ou seize ans. L’autre contrat portait sur une durée de dix ans. Son renouvellement pour une période de cinq ans était subordonné à un accord écrit entre les parties six mois avant la fin de chaque période. En outre, les deux premiers renouvellements
étaient automatiques dès lors que le chiffre d’affaires réalisé au cours de l’année précédente plaçait la marque parmi les trois premières marques de produits capillaires vendus par correspondance aux Etats-Unis et dans trois des pays mentionnés dans le contrat. Dans ce dernier cas, le maintien des droits exclusifs était assuré pour vingt ans. Pour tous ces contrats, il n’était pas prévu de résiliation anticipée, hormis les clauses classiques de droit commun inhérentes aux relations contractuelles (décès ou incapacité d’un cocontractant, survenue de son insolvabilité…). Il est ressorti de cet examen que la durée initiale des droits, leur renouvellement, ainsi que les modalités de résiliation, permettaient de remplir la condition de pérennité.
Le Conseil d’Etat fait œuvre de clarification en reconnaissant l’existence de la condition de pérennité lorsque des droits sont acquis pour une durée initiale suffisante dont le renouvellement dépend du chiffre d’affaire réalisé par le concessionnaire – ce qui ne va pas toujours de soi, dans la mesure où le seuil de ce chiffre d’affaires n’est pas forcément arrêté de façon réaliste – et que la licence n’est pas résiliable de façon anticipée par le concédant.
La filiale du groupe a aussi tenté de faire valoir que la cessibilité de ses droits issus du contrat était limitée, point qui n’a semble-t-il pas pu être établi sur la base des pièces du dossier. Indiquons seulement que si en matière d’actifs incorporels, la cessibilité est souvent devenue un indice plus qu’un critère pour apprécier si un droit immatériel doit être considéré comme un actif immobilisé, ce critère reste normalement applicable aux contrats de concession de licences de marques et de brevets.
Au plan fiscal, l’intérêt du licencié réside a priori dans une comptabilisation en charge des sommes versées au concédant, ce qui suppose l’adoption de clauses contractuelles cantonnant suffisamment l’étendue de ses droits. Pourtant l’intérêt économique et commercial du licencié à se voir consentir des droits plus étendus pourrait l’emporter sur les questions fiscales relatives à l’immobilisation des sommes dues au concédant… du moins lorsque les entreprises ne sont pas liées.
Pour finir, mentionnons qu’en cas d’immobilisation des redevances, il devrait en principe être possible de revendiquer leur amortissement sur la durée du contrat de licence pour obtenir malgré tout une déduction fiscale étalée des sommes payées. La question de la date déterminable de fin des effets bénéfiques du contrat (condition de principe à l’amortissement des actifs) pourrait toutefois s’avérer délicate dans la pratique.
Sylvie CANONGE
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