Réduction de capital par rachat de titres : un arbitrage fiscal à effectuer avec prudence face aux positions divergentes des juges du fond

TA Bordeaux 17 octobre 2024, n° 2205287

TA Montreuil 7 novembre 2024, n° 2215137

Les sociétés peuvent décider une réduction de leur capital non motivée par des pertes par voie de rachat de leurs titres suivi de leur annulation (C. com. art. L. 225-207).

Depuis 2015, les sommes attribuées aux actionnaires ou aux associés à ce titre sont imposées exclusivement selon le régime des plus-values mobilières. Pour rappel, cette réforme était consécutive à la décision n° 2014-404 QPC du 20 juin 2014 par laquelle le Conseil Constitutionnel avait déclaré contraire à la constitution la différence de traitement entre le régime hybride découlant des anciens articles 109, 150-0 D et 161 du CGI (régime par défaut) et le régime des plus-values prévu à l’ancien article 112, 6° du CGI (réservant le régime d’imposition exclusive selon le régime des plus-values à certains rachats, notamment ceux effectués en vue d’une attribution de titres aux salariés).

Le régime des plus-values peut se révéler fiscalement plus intéressant que celui des dividendes, notamment pour les titres acquis antérieurement au 1er janvier 2018, pour lesquels une imposition au barème après application d’un abattement pour durée de détention jusqu’à 85% est possible sous certaines conditions (vs. abattement de 40% en cas d’imposition au barème pour les dividendes). Abstraction faite de l’abattement, la limitation de l’assiette d’imposition à la plus-value pour les réductions de capital par voie de rachat de titres rend cette solution plus intéressante que la distribution d’un dividende.

Si le CADF refuse généralement la qualification d’abus de droit à ce type d’opération en présence d’une opération ponctuelle motivée par une finalité économique propre, l’administration tend à ne pas se conformer aux avis favorables rendus au bénéfice des contribuables et multiplie la poursuite des contentieux comme l’illustre les affaires commentées.

Rappel des faits

Une société, dont le capital était détenu par deux associés égalitaires, avait réduit son périmètre d’activité en cédant son site internet à une société concurrente pour un prix relativement significatif. Suite à la cession, les associés ont décidé de réduire le capital social de la société par rachat de leurs titres, suivi d’une augmentation de capital immédiate de même montant.

Imposés selon le régime des plus-values (après abattement de 85%), les associés se sont vu notifier un redressement sur le fondement de l’abus de droit, l’administration fiscale estimant que cette opération avait un objectif purement fiscal, celui d’éluder l’impôt sur les dividendes.

Pour le CADF, l’opération avait eu pour effet de réduire les capitaux propres de la société, devenus manifestement disproportionnés face aux besoins des activités subsistantes après cession de la principale branche d’activité. Y-voyant une finalité économique propre légitime, le CADF a écarté l’existence d’un montage artificiel et a estimé que l’abus de droit n’était pas caractérisé (CADF, aff. 2020-24). L’administration fiscale a néanmoins maintenu sa position et le contentieux a été porté devant les juges du fond par chacun des associés.

La position divergente des juges du fond

La divergence des solutions est frappante :

  • Pour l’un des associés, le tribunal administratif de Bordeaux a estimé que l’opération était bien constitutive d’un abus de droit au motif notamment que l’augmentation du capital concomitante à la réduction avait permis au capital social de revenir à son niveau initial, illustrant ainsi que l’opération était bien constitutive d’un « montage artificiel par lequel les associés [avaient] nécessairement cherché le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par le législateur » (TA Bordeaux, 17 octobre 2024, n° 2205287).

  • Pour l’autre associé, le tribunal administratif de Montreuil partage quant à lui l’analyse du CADF en jugeant que l’opération litigieuse n’était pas constitutive d’un montage artificiel dépourvu de toute substance économique et poursuivant un but exclusivement fiscal (TA Montreuil 7 novembre 2024, n° 2215137).

La divergence des solutions des juges du fond rend manifestement souhaitable une clarification par le Conseil d’Etat de la grille d’analyse et des indices positifs et négatifs permettant de caractériser un montage comme étant artificiel. Nous restons, pour notre part, convaincus du caractère opérant de l’argument tiré de la surcapitalisation d’une entreprise par rapport aux besoins effectifs de ses activités. Au-delà, on peut se demander en quoi le recours à une réduction par voie de rachat de titres pourrait être reproché dans le cas particulier d’un associé en situation de moins-value sur les titres qu’il détient. Peut-on légitimement imposer dans une telle situation le recours à une distribution de dividende taxable alors même que l’associé s’est appauvri sur le plan économique ?

La question de l’abus de droit dans ce type d’opération reste ouverte et, en attendant l’ intervention du Conseil d’État, il est conseillé de faire preuve de prudence et de sans doute réserver la mise en œuvre d’une appréhension de réserves par voie de réduction de capital en présence d’ « indices favorables » (surcapitalisation manifeste de la société, modification de l’actionnariat, absence de reconstitution du capital, caractère ponctuel de l’opération, absence de mise à disposition du prix de rachat au bénéfice de la société par voie de compte courant, lien avec des opérations de transmission, etc.).