Le demandeur à une action en contrefaçon qui sollicite des mesures provisoires, notamment d’interdiction, supporte seul les risques liés à leur exécution. Si le titre sur lequel a été fondée l’action est ultérieurement annulé, le demandeur se verra alors appliquer un régime de responsabilité « sans faute » pour la réparation de l’entier préjudice résultant de l’exécution de ces mesures par le défendeur. Ce régime de responsabilité sans faute impose à la partie ayant sollicité les mesures de rétablir le défendeur dans ses droits, comme si les mesures n’avaient jamais été prononcées.
Le Tribunal de Grande Instance de Paris a rendu une décision le 27 janvier 2012 sur la responsabilité sans faute du titulaire d’un brevet européen ayant obtenu des mesures provisoires à l’encontre d’un présumé contrefacteur, avant l’annulation de son titre.
Le litige oppose le licencié exclusif d’un brevet européen sur un composé pharmaceutique, à la société ayant développé un générique de ce médicament.
En octobre 2008, le licencié adresse au génériqueur une lettre lui indiquant qu’elle empêchera toute commercialisation du médicament générique qu’elle a développé, celui-ci portant atteinte au brevet protégeant la composition pharmaceutique du médicament d’origine.
En décembre 2008, le génériqueur assigne devant le Tribunal de Grande Instance de Paris le titulaire du brevet et son licencié en nullité d’une revendication de la partie française du brevet européen – qui ferait l’objet de la contrefaçon – pour défaut de nouveauté, et commence la commercialisation des produits.
Suite à l’assignation en référé d’heure à heure du licencié, le juge des référés interdit sous astreinte la fabrication et la commercialisation des produits pharmaceutiques litigieux par ordonnance du 10 mars 2009.
Dans le cadre de l’action au fond, le génériqueur obtient à titre reconventionnel un jugement prononçant la nullité de la revendication de la partie française du brevet européen. Ce jugement est confirmé par la Cour d’appel de Paris.
Suite à l’appel interjeté par le génériqueur à l’encontre de l’ordonnance prononçant les mesures provisoires, la Cour d’appel de Colmar, le 22 juin 2010, infirme les mesures d’interdiction et de retrait ordonnées par le juge des référés
Le génériqueur introduit alors une action en indemnisation de son préjudice sur le fondement de la responsabilité sans faute du fait de l’exécution des mesures provisoires, ainsi que sur le fondement de l’article 1382 du Code civil du fait de manœuvres fautives distinctes du titulaire du brevet et de son licencié.
La responsabilité « pour faute » fondée sur l’article 1382 du code civil est écartée par le juge, qui constate que le licencié n’a fait qu’utiliser les moyens à sa disposition pour défendre son titre, tirant sa légitimité de l’existence du brevet et disposant alors de tous les droits attachés au titre.
En revanche, le juge accueille favorablement l’action en responsabilité sans faute fondée sur l’article 31 de la loi du 9 juillet 1991, qui dispose, en son alinéa 2 :
« L’exécution est poursuivie aux risques du créancier qui, si le titre est ultérieurement modifié, devra restituer le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent ».
En réponse au licencié qui faisait notamment valoir que la disposition ne serait pas applicable en l’espèce dans la mesure où il n’avait pas eu recours à l’exécution forcée le tribunal considère que le régime de responsabilité sans faute prévu à l’alinéa 2 de l’article 31 précité vise « l’exécution » et non « l’exécution forcée ».
Ainsi, en raison de l’annulation postérieure de la revendication du brevet litigieuse, le génériqueur est bien fondé à solliciter une indemnisation du licencié afin d’être rétabli dans ses droits, même en l’absence de faute de ce dernier. La réparation s’impose du seul fait de l’exécution par le génériqueur des mesures ordonnées.
Sur le quantum du préjudice, le Tribunal rappelle qu’il convient de raisonner comme si aucune interdiction n’avait été prononcée et comme si aucune interruption n’était intervenue dans la commercialisation.
Le Tribunal alloue finalement au génériqueur la somme de 2 997 567 € de dommages-intérêts s’agissant de la perte engendrée par l’interdiction, le rappel des stocks ainsi que les coûts de retraitements des lots de médicaments en stock. Le licencié est également condamné au paiement de 200.000 Euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Cette décision en matière de droit de brevets est évidement applicable plus généralement à tout demandeur de mesures provisoires fondées sur un titre qui est annulé ultérieurement et doit donc inciter à la prudence.
Anne Sophie LABORDE