La jurisprudence sociale est claire : seule la faute lourde du salarié permet à l’employeur d’engager la responsabilité civile de celui-ci. Ce principe persiste-t-il, lorsque les faits relèvent d’une qualification pénale ? La jurisprudence criminelle semble instaurer un régime dérogatoire. Etat des lieux.
Ce principe est établi de longue date et l’abondante jurisprudence sur ce sujet est régulièrement confirmée par la Chambre Sociale de la Haute Cour ; encore récemment dans trois arrêts des 25 et 26 janvier 2017 (n°14-26.071 ; n°15-21.352 et n°15-27.365).
Comment ce régime spécial de responsabilité civile se décline-t-il devant les juridictions pénales ?
Le débat n’est désormais plus théorique.
La problématique pénale s’insinue, en effet, de plus en plus dans les débats relevant à titre principal du droit du travail. Tout d’abord car l’action pénale se banalise. Autrefois considérée comme une arme suprême, relevant de la « déclaration de guerre », la menace pénale est aujourd’hui beaucoup plus facilement envisagée, voire enclenchée, par les parties comme par le Parquet (sous l’impulsion de la DIRECCTE ou de façon autonome).
La qualification pénale se pose d’autant plus lorsque les faits présentent un caractère de gravité particulièrement important, a fortiori si une intention de nuire est présumée ou caractérisée. Ainsi, le vol, l’escroquerie ou l’abus de confiance, qui sont des fondements classiques de fautes lourdes, relèvent incontestablement d’une qualification pénale. Devant les juridictions répressives, après la question de la condamnation pénale, s’ouvrira le débat sur les conséquences civiles de l’infraction ainsi sanctionnée, à l’égard des parties civiles.
Deux obstacles se présentent dès lors pour l’employeur qui s’estime victime de l’infraction.
Le barrage de la constitution de partie civile. Seule la victime qui a personnellement souffert d’un dommage causé directement par l’infraction est admise à faire valoir ses droits de partie civile et être admise comme telle dans le cadre d’une procédure pénale. L’employeur peut rarement en arguer, étant le plus souvent seulement victime d’un dommage indirectement causé par l’infraction. Or, à défaut d’être partie civile dans le cadre de la procédure pénale, l’employeur restera un tiers ou un simple témoin. Et de simple témoin à co-auteur, il n’y a parfois qu’un pas… Surtout lorsque le Code civil prévoit par ailleurs la responsabilité civile du commettant (l’employeur) au titre des actes de son préposé (le salarié). Se voir reconnaître le statut de partie civile est donc un enjeu majeur pour l’employeur, aussi pour se placer « du bon côté » du prétoire.
La Chambre Criminelle admet la notion de préjudice direct d’un employeur dans des cas bien particuliers. Par exemple, si des biens ont été dérobés à la Société ou si une atteinte à son image est caractérisée à l’occasion des faits délictueux du salarié (hypothèse d’une médiatisation par exemple).
Le barrage de la faute lourde ? Il faut avant tout ne pas confondre remboursement et indemnisation. Le simple remboursement de sommes détournées n’exige pas la faute lourde ; à l’inverse d’une demande de dommages intérêts. Jusqu’à récemment, l’absence de faute lourde privait ainsi l’employeur d’une action indemnitaire contre le salarié, même pénalement condamné sur les mêmes faits. Ainsi, un employeur ne pouvait obtenir des dommages intérêts contre un salarié condamné pénalement si le licenciement, fondé sur ces mêmes faits, n’avait pas été qualifié de faute lourde.
Un arrêt de la Chambre criminelle rendu en 2015 semble avoir amorcé une évolution. Dans cet arrêt, la Cour admet la condamnation civile, dans le cadre d’une instance pénale, d’un salarié suite à un abus de confiance, en l’absence d’une faute lourde retenue dans le cadre de son licenciement. Mais il faut dire que « l’indemnisation » octroyée correspondait exactement aux montants des fonds détournés par le salarié et remboursés par la Société à ses clients (notion de remboursement). Et il faut dire encore que cet arrêt n’a pas été publié au bulletin.
L’arrêt rendu par la Chambre Criminelle le 14 novembre dernier va clairement plus loin. Déclaré coupable pour des faits de harcèlement moral et sexuel à l’égard de subordonné(e)s, un salarié se voit condamner à verser 500 euros de dommages et intérêts à son employeur pour le préjudice subi. Le préjudice retenu est celui d’avoir « outrepassé les pouvoirs hiérarchiques dévolus » et ce faisant d’avoir « terni l’image de la compagnie auprès de ses autres salariés ». L’absence de faute lourde, dans le cadre du licenciement dont il avait fait l’objet, était avancée par le prévenu pour critiquer l’arrêt d’appel. La Haute Cour rejette l’argument et le pourvoi.
En retenant i) la constitution de partie civile de la Société, ii) sur la base de ce seul préjudice moral et iii) en ordonnant une indemnisation même symbolique à ce titre, cet arrêt de la Chambre Criminelle, publié, doit attirer l’attention.
Gardons à l’esprit cependant que cet arrêt ne provient pas de la Chambre Sociale et que la question des intérêts civils, devant la juridiction répressive consécutivement à la décision sur le plan pénal, reste gouvernée par les règles de droit civil – donc en l’espèce les règles du droit du travail.
Si la Chambre Sociale maintient sa position, la contradiction entre les Chambres de la Haute Cour conduira peut-être à porter ce sujet en chambre mixte ou plénière. Prudence, le débat n’est sans doute pas encore tranché.
Virginie DELESTRE