Revente d’un logiciel téléchargé et épuisement des droits : le régime juridique du « logiciel d’occasion » posé par la CJUE
La CJUE juge licite la revente d’un logiciel d’occasion sur lequel a été concédée une licence d’utilisation pour une durée « illimitée », considérant qu’une telle action constitue une « première vente d’une copie d’un programme d’ordinateur », sujette à épuisement des droits. La société Oracle développe des progiciels qu’elle distribue notamment à ses clients sous forme de licence d’utilisation limitée, concédée pour un nombre déterminé d’utilisateurs, en contrepartie du paiement d’une redevance unique. Dans la grande majorité des cas (85%), ces logiciels sont téléchargeables sur internet.
La société UsedSoft propose notamment à ses clients d’acquérir les logiciels d’Oracle en « occasion » : en pratique, les clients d’UsedSoft téléchargent une copie du logiciel Oracle directement sur le site de cette dernière et acquièrent les licences « d’occasion » auprès d’UsedSoft.
Souhaitant faire cesser ces pratiques, Oracle a introduit une action devant les juridictions allemandes et a obtenu gain de cause en première instance et en appel. UsedSoft a alors introduit un recours en révision devant la Bundesgerichtshof qui a décidé de surseoir à statuer dans l’attente des réponses aux questions préjudicielles qu’elle a posées à la CJUE.
Dans un premier temps, la CJUE précise que « selon une définition communément admise, la «vente» est une convention par laquelle une personne cède, moyennant le paiement d’un prix, à une autre personne ses droits de propriété sur un bien corporel ou incorporel lui appartenant ».
La CJUE qualifie en conséquence comme une « première vente d’une copie d’un programme d’ordinateur » au sens de l’article 4§2 de la directive 2009/24 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, l’action consistant à concéder une licence d’un programme d’ordinateur, de manière permanente (pour une « durée illimitée ») et, en l’espèce moyennant une contrepartie financière visant « à permettre au titulaire du droit d’auteur d’obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de la copie de l’œuvre dont il est propriétaire ».
La CJUE a donc été conduite à s’interroger sur l’application du principe de l’épuisement des droits de distribution de ces copies téléchargées.
Comme base de son raisonnement, la CJUE considère que l’article 4§2 précité ne prévoit pas de distinction « en fonction de la forme matérielle ou immatérielle de la copie en cause » et prend appui sur l’article 1er §2 de la directive précitée selon lequel «La protection prévue par [cette] directive s’applique à toute forme d’expression d’un programme d’ordinateur », cette notion étant définie par le considérant n°7 de la directive comme «les programmes sous quelque forme que ce soit, y compris ceux qui sont incorporés au matériel ». La Cour en déduit que le législateur de l’Union a souhaité assimiler copie matériel et immatérielle. La CJUE confirme qu’il en est également de même du modèle économique des deux catégories de copie, considérant que « le mode de transmission en ligne est l’équivalent fonctionnel de la remise d’un support matériel ».
Par conséquent, la CJUE considère que « le droit de distribution de la copie d’un programme d’ordinateur est épuisé si le titulaire du droit d’auteur, qui a autorisé, fût-il à titre gratuit, le téléchargement de cette copie sur un support informatique au moyen d’Internet, a également conféré, moyennant le paiement d’un prix destiné à lui permettre d’obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de la copie de l’œuvre dont il est propriétaire, un droit d’usage de ladite copie, sans limitation de durée. »
Ce principe s’applique au logiciel tout au long de sa « vie » : Oracle indiquait que le logiciel acquis d’occasion n’était pas nécessairement identique au logiciel initialement téléchargé puisqu’entre temps, celui-ci ayant fait l’objet d’une maintenance consistant à corriger les éventuelles anomalies et le mettre à jour. La CJUE n’y voit néanmoins pas un obstacle à l’application du principe de l’épuisement des droits, considérant que « les fonctionnalités corrigées, modifiées ou ajoutées sur la base d’un tel contrat font partie intégrante de la copie initialement téléchargée et peuvent être utilisées par l’acquéreur de celle-ci sans limitation de durée, et ceci également dans le cas où cet acquéreur décide ultérieurement de ne pas renouveler son contrat de maintenance ».
La CJUE précise que l’acquéreur initial du logiciel doit tout mettre en œuvre pour que la copie sur laquelle il bénéficiait d’un droit d’utilisation jusqu’alors et qu’il souhaite revendre, devienne inutilisable. Ce point est essentiel car même s’il semble logique, il peut être en pratique délicat à mettre en œuvre et la preuve (qui incomberait sans doute à l’utilisateur sauf système particulier) en cas de litige peut être difficile à rapporter.
S’il faut sans doute analyser les conséquences pratiques, juridiques mais également techniques de cette validation jurisprudentielle du marché dématérialisé de « l’occasion », les termes de la décision invitent à s’interroger sur l’extension du principe affirmé par la CJUE à d’autres secteurs que celui de l’informatique et notamment à celui de la musique et de l’audiovisuel.
Olivier HAYAT