Rupture brutale des relations commerciales : exclusion du caractère de loi de police

Par un arrêt en date du 2 juillet 2024, la Cour d’appel de Paris a été amenée à statuer en matière de rupture brutale des relations commerciales, plus précisément sur le potentiel caractère de loi de police de ce texte[1].

En l’espèce, une société de droit français, TB Plast, a conclu un accord-cadre d’approvisionnement en 2004, avec une société suédoise, Essity Hygiene and Health AB.

TB Plast reprochait aux sociétés qui composent le groupe Essity d’avoir partiellement rompu brutalement leurs relations commerciales et commis des pratiques abusives, et les a assignés devant le tribunal de commerce de Lyon, en 2010, sur le fondement de l’ancien article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.

Par un arrêt du 13 mars 2018, la Cour d’appel de Paris a décidé que le tribunal de commerce de Lyon était compétent pour statuer sur le litige en question. Le pourvoi en cassation contre cet arrêt a été rejeté en 2019.

Le 17 septembre 2021, le tribunal de commerce de Lyon a jugé que la loi française était applicable pour l’interprétation du litige entre les parties en raison du caractère de loi de police du texte et de la convention de Rome I.

Les sociétés du groupe Essity ont ainsi interjeté appel de ce jugement devant la Cour d’appel de Paris.

Pour exclure l’application de la loi française au litige, les sociétés du groupe Essity indiquent notamment que :

  • Le contrat d’approvisionnement vise un marché étranger et non français ;
  • Le contrat comporte une clause de choix de loi désignant la loi allemande comme étant la loi applicable au contrat ;
  • La livraison effective des produits a lieu en Allemagne ;
  • Les Incoterms ne régissent pas le transfert de propriété mais le transfert des risques ; et
  • La rupture de cette relation a été réalisée par une société suédoise depuis la Suède.

Sur la loi applicable, la société TB Plast soutient quant à elle, notamment que :

  • L’ancien article L. 442-6 du code de commerce a été jugé crucial par le législateur pour la sauvegarde de l’organisation économique de la France et évince la loi choisie par les parties et constitue une loi de police au sens du droit européen justifiant d’appliquer la loi française au litige ;
  • La Convention de Rome s’applique et non le règlement de Rome I dans la mesure où le contrat a été conclu en avril 2004 et que la rupture du contrat a été notifiée le 6 avril 2009, soit avant l’entrée en vigueur du Règlement Rome I. Ainsi, l’ancien article L. 442-6, I, 5° du code de commerce n’est pas subordonné à ce que l’ensemble des éléments caractéristiques de la relation soient situés en France, mais exige un rattachement territorial. En l’espèce, le siège social de TB Plast est en France et les produits vendus sont fabriqués en France.

Au regard de la notion de loi de police donnée par la Convention de Rome et du droit européen tel qu’interprété à la lumière du Règlement Rome I, la Cour d’appel de Paris décide que l’ancien article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ne constitue pas une loi de police dans la mesure où ces dispositions visent davantage à la sauvegarde des intérêts privés d’une partie qui sollicite l’indemnisation d’un préjudice lié à la rupture d’un contrat privé, de sorte qu’elles ne peuvent être regardées comme cruciales pour la sauvegarde de l’organisation économique du pays au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application.

En conséquence, au regard de la rédaction de l’accord-cadre liant les parties, la Cour d’appel de Paris retient la loi allemande pour son application au présent litige, qui était la loi choisie par ces dernières.

Cet arrêt ajoute donc sa pierre à l’édifice, en rejetant la qualification de loi de police s’agissant des dispositions régissant la rupture brutale des relations commerciales.  


[1] Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 16, 2 juillet 2024, n° 21/17912