Sanction pour défaut de notification et gun jumping
L’Autorité de la concurrence (l’Autorité) vient de sanctionner la Compagnie Financière Européenne de Prises de Participation (COFEPP) pour, à la fois, défaut de notification d’une opération de concentration et gun jumping.
L’actionnaire principal de MBWS à hauteur de 29,47% du son capital, COFEPP, s’était engagé dans un protocole d’accord du 21 décembre 2018 à souscrire à une augmentation de capital à l’issue de laquelle elle détiendrait 47,08% du capital et 47,51 des droits de vote.
Le 3 janvier 2019, COFEPP a notifié ce projet de prise de contrôle exclusif de MBWS au service des concentrations de l’Autorité.
Ce projet a été autorisé par l’Autorité par décision du 28 février 2019, sous réserve d’engagements.
L’opération a été officiellement réalisée le 1er mars 2019.
Le 9 avril 2019, les services d’instruction de l’Autorité ont mené des opérations de visite et saisie dans les locaux des sociétés COFEPP, MBWS, Castel et Copagef.
Par sa décision n° 22-D-10 du 12 avril 2022, l’Autorité a sanctionné la COFEPP à hauteur de 7 millions d’euros pour avoir :
- réalisé une opération de concentration sans l’avoir préalablement notifié contrairement au I de l’article L.430-8 du code de commerce ; et
- procédé à la réalisation effective d’une opération de concentration notifiée avant sa date d’autorisation par l’Autorité, en violation du II de l’article L. 430-8 du code de commerce.
1. Pour caractériser le défaut de notification, l’Autorité s’appuie sur un ensemble de comportements de COFEPP et MBWS permettant de constater un rapprochement graduel entre les deux sociétés entre 2015 et 2019.
Selon l’Autorité :
- COFEPP est montée progressivement au capital de MBWS ce qui lui a permis d’obtenir des postes d’administrateur au sein du conseil d’administration de celle-ci.
Ces administrateurs, qui occupaient des postes stratégiques et opérationnels au sein de COFEPP, avaient accès à des informations sensibles sur les activités de son concurrent MBWS (par ex. des projets de budget comprenant des prévisions de volumes, de ventes et de profitabilité ainsi que des board packs contenant des informations sur les perspectives commerciales et marketing de MBWS avec des données détaillées par marque et par zone géographique).
En dépit de la signature d’un NDA entre COFEPP et MBWS comprenant un clean team agreement le 12 juillet 2018, à la suite de la prénotification par COFEPP à l’Autorité du projet de prise de contrôle exclusif de MBWS, les échanges d’informations sensibles se sont poursuivis.
Des membres de la clean team de COFEPP partageaient des informations sensibles non retraitées avec les administrateurs représentant COFEPP au conseil d’administration de MBWS ou des courriels comprenant les termes des négociations commerciales en cours avec des fournisseurs de MBWS circulaient entre les deux sociétés en dehors de la clean team.
- COFEPP est devenue en parallèle un fournisseur, un partenaire financier et un distributeur important de MBWS ; et
- l’intervention de la COFEPP, dès 2018, dans les décisions stratégiques et opérationnelles de MBWS (par ex. choix du directeur général de MBWS, intervention dans la politique commerciale et budgétaire en négociant par exemple directement avec les fournisseurs de MBWS).
L’Autorité déduit de l’ensemble de ces circonstances, que COFEPP a exercé un contrôle de fait sur MBWS avant la notification de l’opération de concentration. Rappelons que COFEPP ne détenait pas alors la majorité des droits ou des actions bien qu’elle ait été le premier actionnaire de MBWS.
L’Autorité fixe la réalisation effective de l’opération de concentration au 13 avril 2018, date à laquelle « s’est révélée l’influence déterminante de COFEPP dans le choix du nouveau directeur général de MBWS » (alors même qu’à cette date, comme le précise l’Autorité, COFEPP était le premier actionnaire, bénéficiait d’informations sensibles et entretenait une relation étroite financière et commerciale avec MBWS).
Comme la réalisation effective de l’opération de prise de contrôle exclusif de MBWS a été antérieure à la notification de l’Autorité, le défaut de notification est constitué.
2. Pour établir la réalisation sans autorisation d’une opération de concentration notifiée, l’Autorité relève que la réalisation effective de l’opération de concentration a été antérieure à la notification de celle-ci à l’Autorité le 3 janvier 2019, et par conséquent, antérieure à l’autorisation par l’Autorité de cette opération le 28 février 2019.
Certes, la CJUE a déjà retenu dans l’affaire Marine Harvest que l’obligation de notification et l’obligation de suspension de l’opération jusqu’à son autorisation poursuivent des objectifs autonomes.
Néanmoins, le raisonnement de l’Autorité ne peut que suspendre ici dans la mesure où l’infraction de réalisation d’une opération notifiée avant son autorisation a pu être caractérisée dans cette affaire en raison de sa notification.
En tout état de cause, cette décision est une nouvelle illustration de la complexité de l’analyse relative à l’exercice effective d’une influence décisive et la prise de contrôle exclusif qui peut en découler même lorsque l’acquéreur n’est pas majoritaire.
Il ne faudrait pas s’arrêter à l’examen d’un faisceau d’indices à un instant T, mais bien suivre toute évolution de la relation avec l’entreprise détenue.
Avec la contribution d’Axelle Binet, stagiaire.