Sur l’application de la présomption de non-salariat aux artistes ayant créé une société à laquelle un Producteur de spectacle reverse une partie des recettes de la tournée
Cette décision de la Cour de cassation était attendue, les décisions de la Cour d’appel et du Tribunal ayant été commentées. L’affaire concerne un schéma de coproduction de spectacle, dans lequel le producteur est lié à l’artiste par un contrat de travail, mais aussi avec la société créée par cet artiste, dans le cadre d’un contrat de coproduction.
Sans remettre en cause ni valider ce schéma, la Cour de cassation rappelle le champ d’application de la présomption de non-salariat, qui pourrait être applicable au dirigeant d’une personne morale immatriculée au registre du commerce.
A la suite d’un contrôle, l’URSSAF avait requalifié en salaire les sommes versées par le Producteur aux sociétés créées par des artistes, ce qui avait conduit à un redressement de cotisations de sécurité sociale.
En parallèle d’un contrat d’engagement conclu avec des artistes pour des tournées, le producteur de spectacles avait conclu un contrat de coproduction avec la société créée par chacun des artistes, ladite société étant titulaire des droits exclusifs d’exploiter et de gérer les concerts. Le producteur versait à l’artiste un cachet par représentation et, à la société de ce dernier, un pourcentage du résultat net de la tournée (40% à 70% des recettes nettes selon l’artiste).
Le redressement avait été confirmé par la Cour d’appel. Pour considérer qu’il s’agit de deux modalités de rétribution de la même activité artistique de représentation publique, sans qu’il soit justifié de distinguer entre la partie fixe de la rémunération (le cachet) et la partie variable dépendant des recettes, la Cour d’appel avait notamment fait valoir que :
– le Producteur n’établit pas que les artistes dont elle a organisé le spectacle ont exercé leurs activités dans des conditions impliquant leur inscription au registre du commerce (« RCS »),
– le simple fait que la quote-part des recettes des tournées ne soit pas remise directement aux artistes mais soit versée aux sociétés qu’ils ont constituées pour l’exploitation de leurs concerts ne fait pas obstacle au jeu de la présomption de salariat qui subsiste quels que soient le mode et le calcul de la rémunération ainsi que les modalités de sa perception ;
– il importe peu que les sociétés d’artistes soient inscrites au registre du commerce dès lors que, dépourvues de licence d’entrepreneur de spectacles, elles ne participent pas financièrement aux dépenses liées à la production et à l’organisation des tournées ;
– la définition d’un commun accord des prestations scéniques et des choix artistiques ou même leur fixation unilatérale par l’artiste ne suffit pas à détruire la présomption de salariat qui demeure, même lorsque la liberté de création est intégralement préservée, et sans qu’il soit nécessaire de caractériser un lien de subordination ;
– le Producteur ne pouvait se prévaloir de la présomption de non-salariat instituée par l’article L. 8221-6 du Code du travail pour dénier la qualité de salariés aux artistes dès lors qu’il n’est pas établi que ceux-ci étaient personnellement inscrits au RCS.
C’est ce dernier point qui a donné lieu à la cassation de l’arrêt d’appel. Il convient en effet de rappeler que deux présomptions s’opposent :
– la présomption de contrat de travail applicable aux artistes du spectacle : le contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste en vue de sa production est présumé être un contrat de travail, dès lors que cet artiste n’exerce pas l’activité qui fait l’objet de ce contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce (art L7121-3 code trav.). Cette présomption subsiste quels que soient les modes et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée au contrat ;
– la présomption de non-salariat (art L8221-6 – I Code trav) lors de l’exercice d’une activité donnant lieu à immatriculation ou inscription. Sont présumées ne pas être liées avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :
1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des [URSSAF] ; (…)
3° Les dirigeants des personnes morales immatriculées au RCS et leurs salariés.
Le II de cet article prévoit que l’existence d’un contrat de travail peut être établie « lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci ».
La Cour d’appel avait considéré que le Producteur ne pouvait, pour dénier la qualité de salariés aux artistes dont elle a organisé le spectacle, se prévaloir de la présomption de non-salariat rappelée ci-dessus, dès lors qu’il n’est pas établi que ceux-ci étaient personnellement inscrits au registre du commerce et des sociétés. La Cour d’appel a ainsi omis le fait que cette présomption s’appliquait aussi aux dirigeants des sociétés immatriculées au RCS et à leurs salariés.
La Cour de cassation casse donc cet arrêt d’appel au visa de l’article L. 8221-6, I, 3°, du Code du travail rappelant que « sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription, notamment les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés ».
La Cour de cassation ne valide ni remet en cause les schémas de coproduction avec la société d’un artiste, mais replace ce schéma à la lumière de la présomption de non-salariat. L’affaire a fait l’objet d’un renvoi devant la Cour d’appel, qui devra donc vérifier si : – les artistes étaient bien dirigeants ou salariés des sociétés qui se sont vues verser par le Producteur un pourcentage des recettes nettes des tournées, – les artistes n’étaient pas placés vis-à-vis du producteur dans des conditions caractérisant un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci, sachant qu’il appartiendrait alors à l’URSSAF, d’apporter la preuve de la subordination, afin de renverser la présomption de non-salariat et de confirmer le redressement..
La décision d’appel est donc attendue.
Muriel de LAMBERTERIE
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