Sur la cession des œuvres futures d’un salarié
CA Paris, Pôle 5, Ch. 1, 25 janvier 2023, n° 19/15256
La clause de cession de droits d’auteur sur les créations d’un salarié « au fur et à mesure de leur réalisation », contenue au sein de son contrat de travail, n’est pas contraire à la prohibition de cession globale des œuvres futures (article L.131-1 du Code de la propriété intellectuelle) selon la Cour d’appel.
Une styliste a conclu un contrat de travail en tant que « styliste-directrice artistique » avec une maison de mode, comprenant une clause de cession à titre exclusif « de l’ensemble de ses droits de propriété intellectuelle relatifs aux créations réalisées dans le cadre dudit contrat, au fur et à mesure de leur réalisation ». La styliste a alors réalisé des prestations dans le cadre de collaborations entre son employeur et d’autres sociétés, et a estimé qu’une rémunération complémentaire lui était due pour l’exploitation de ses droits patrimoniaux d’auteur sur les créations réalisées à ce titre.
La salariée soutenait notamment que la clause de cession de droits telle qu’énoncée dans son contrat de travail était nulle, d’une part, en ce qu’elle procédait d’une cession globale d’œuvres futures, prohibée par l’article L.131-1 du CPI, et d’autre part en ce qu’elle était dénuée de contrepartie financière.
En première instance, les juges ont retenu que les droits d’auteur sur les créations de la styliste avaient valablement été cédés à son employeur, ce que la Cour d’appel confirme.
1) La validité de la cession de droits d’auteur d’un salarié sur ses créations « au fur et à mesure de leur réalisation »
Selon la Cour d’appel, une clause de cession de droits d’auteur d’un salarié au profit de l’employeur couvrant les créations réalisées dans le cadre d’un contrat de travail « au fur et à mesure de leur réalisation » n’est pas nulle, en ce qu’elle délimite bien le champ de la cession à des œuvres déterminables et individualisables.
Ainsi la clause litigieuse n’encourait pas le grief de cession globale d’œuvres futures puisqu’elle ne visait pas globalement les œuvres objet de la cession, et ne portait pas sur des œuvres futures mais bien sur des œuvres réalisées, la cession n’opérant qu’au fur et à mesure de la réalisation desdites œuvres.
Si cette position de la Cour d’appel de Paris confirme la position déjà affirmée par la Cour d’appel de Lyon (CA, Lyon, 28 novembre 1991) ou encore par la Cour d’appel Versailles (CA, Versailles, 21 janvier 2021, n° 18/04047), la Cour de cassation n’a toujours pas eu l’occasion de statuer sur le sujet.
2) L’absence de distinction entre la rémunération de la prestation et celle de la cession de droits du salarié
Un contrat de travail portant sur une prestation de création a deux objets : d’un côté, l’exécution des créations et de l’autre, la cession des droits d’auteur liés auxdites créations.
A ce sujet, l’appelante prétendait que la clause de cession de ses droits d’auteur serait nulle car dénuée de contrepartie financière, en ce que la rémunération forfaitaire au sein du contrat ne distinguait pas sa prestation de travail de la cession de ses droits d’auteur.
Par l’arrêt commenté, la Cour d’appel a affirmé qu’une rémunération forfaitaire n’opérant pas de distinction entre la rémunération de la prestation de travail et la contrepartie de la cession des droits d’auteur est licite. Sur ce point, la Cour n’explique toutefois pas son raisonnement.
Cette position est contraire à l’arrêt de la Cour de cassation du 15 mars 2017 (Cass. Civ.1ère, 15 mars 2017, n° 14-29.179), faisant valoir, pour un artiste-interprète, la nécessitéde séparer au sein du contrat de travail, la rémunération de la prestation de travail et celle de l’autorisation d’utilisation de son interprétation.Cet arrêtreste cependant une décision isolée.
Il est toutefois toujours recommandé de distinguer au sein du contrat de travail d’un salarié ayant une activité par nature créative, la rémunération pour sa mission de création de la contrepartie pour la cession de ses droits.
Ainsi, cet arrêt illustre la volonté des juges du fond d’assurer la compatibilité de l’article L.131-1 du Code de la propriété intellectuelle prohibant la cession globale des œuvres futures, avec un mécanisme de cession automatique mais encadrée dans le cadre des contrats de travail de créateurs, de manière à trouver une solution équilibrée entre les intérêts de l’employeur et ceux du salarié.