Sur la validité d’une clause de « bad leaver » prévoyant une décote du prix de cession des actions en cas de licenciement du salarié actionnaire
Les clauses de bad leaver sont des clauses de cession ou de rachat de droits sociaux ayant le plus souvent pour support une promesse unilatérale de cession de droits sociaux. Elles sont consenties par un associé au bénéfice d’un ou plusieurs autres associés et conclues sous la condition suspensive qu’un évènement déterminé survienne, notamment la perte de la qualité de salarié comme en l’espèce ou de dirigeant. Ces clauses trouvent leur intérêt en ce qu’elles permettent de se séparer d’un associé fautif en organisant la cession de ses droits sociaux moyennant un abattement conséquent sur la valeur des droits cédées par rapport à une valorisation dite de marché.
Dans un arrêt du 7 juin 2016, la chambre commerciale de la Cour de Cassation statue sur la licéité de l’engagement d’un salarié actionnaire de céder ses titres, à un prix minoré en cas de licenciement. La cour avait déjà été amenée à statuer sur une clause dite de bad leaver conclue par un salarié dans un pacte d’actionnaire, elle réaffirme ici la validité de ce type de clause qui ne peut être analysée en une sanction. Elle replace l’analyse des clauses de bad leaver dans la perspective de leur finalité contractuelle. Cet arrêt conforte la primauté du contrat.
La directrice commerciale d’une SA, dont elle était salariée et actionnaire, a reçu gratuitement d’autres actions de la SA. Elle signe un pacte d’actionnaires avec la société mère de la SA dans lequel elle s’engageait irrévocablement, par une clause dite de bad leaver, à céder la totalité de ses actions en cas de perte de sa qualité de salariée pour quelque cause que ce soit. Les modalités de détermination du prix variant selon les circonstances dans lesquelles prendrait fin le contrat de travail : ainsi en cas de licenciement pour faute grave ou lourde, le prix des actions serait fixé par expert et une décote de 50% serait appliquée.
Trois ans plus tard la directrice était licenciée. Elle contesta ce licenciement devant le juge prud’homal qui le déclara sans cause réelle et sérieuse. Egalement, elle contesta l’acquisition de ces actions par la société mère qui avait appliqué au prix de cession la décote de 50%. Elle invoque pour ce faire que la clause de bad leaver avait une cause illicite car trouvait sa cause dans l’imputabilité du licenciement, qu’elle n’avait pu négocier librement car elle se trouvait dans un lien de subordination lors de la conclusion du pacte. Enfin elle affirme que la clause s’analysait en une sanction pécuniaire déguisée, conclue en violation de l’article L1331-2 du code du travail.
Après un rejet de sa demande par jugement du 27 avril 2012 du Tribunal de commerce de Nanterre et par un arrêt de la Cour d’appel de Versailles le 20 mars 2014, la Cour de Cassation rejette elle aussi le pourvoi formé par l’ex salariée dans son arrêt du 7 juin 2016, rendu après avis de la chambre sociale du 3 février.
Premièrement, la cour de cassation affirme que la clause de bad leaver était valable car elle avait une cause licite, contrairement à ce qu’avançait la directrice, en ce qu’elle participait de l’équilibre du contrat. Cet équilibre s’inscrivait dans un processus d’amélioration de la rémunération mais également d’association à la gestion et d’intéressement au développement de la valeur de l’entreprise, avantages consentis en contrepartie de l’activité de la salariée au profit de cette entreprise. Cet équilibre résultait de la commune volonté des parties, ce qui justifie le lien établi entre la perte de qualité de salarié et celle d’associé mais aussi la promesse consentie par la salariée de cession et la détermination anticipée d’un commun accord de la valeur de rachat des parts soumises à une décote.
La Cour souligne également que la salariée avait pu librement négocier et consentir au pacte d’actionnaire car elle n’était pas dans un lien de subordination, la société mère de la SA, cocontractant au pacte, n’étant pas son employeur.
Enfin, la clause de bad leaver prévoyant une décote en cas de licenciement ne pouvait s’analyser en une sanction pécuniaire prohibée, en ce qu’elle ne visait pas à sanctionner un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, dès lors qu’elle s’appliquait également dans toutes les hypothèses de licenciement autre que disciplinaire.
On ne peut que se féliciter de cet arrêt qui a le mérite de clarté et de la sécurisation des promesses de ventes comprises dans les pactes d’actionnaires.
On pourrait se demander si la réforme des contrats (qui sera applicable aux contrats conclus à partir du 1er octobre) remettra en cause le raisonnement ici exprimé de la Cour de Cassation sur la validité des clauses de bad leaver car ayant une cause licite. Cela ne devrait a priori par être le cas, car si la réforme a supprimé l’exigence de « cause licite », elle impose toujours que le contenu du contrat soit « licite et certain ».