Un décret du 26 février 2024, entrant en vigueur ce 1er mai, devait interdire de nommer les produits comportant des protéines végétales par des termes de charcuterie ou de boucherie tels que « steak », « escalope », « grillade » etc…[1]
Toutefois, ce décret s’inscrit dans le cadre d’un historique turbulent où le juge des référés du Conseil d’Etat avait déjà suspendu partiellement un premier décret ayant le même objet en juillet 2022.
Cette première suspension a donné lieu au renvoie à la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») en juillet 2023, de plusieurs questions préjudicielles dont celle de savoir si un Etat membre peut adopter des mesures nationales réglementant ou interdisant ce type de dénominations. A ce jour, la CJUE ne s’est pas encore prononcée sur ces questions.
C’est dans ce contexte que le juge des référés du Conseil d’Etat a eût à se prononcer, une nouvelle fois, sur un décret présentant une telle interdiction, à la demande de six sociétés visées par ce texte.
Ces dernières soutiennent notamment que :
- Le décret contesté est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation dès lors qu’il n’existe pas de risque de confusion pour les consommateurs entre les produits issus de l’élevage et les produits à base de protéines végétales justifiant l’intervention de l’Etat sur leur dénomination. Les mesures de ce décret sont en tout état de cause disproportionnées au regard des objectifs allégués ;
- Le décret méconnait la réglementation européenne en la matière, en ce qu’il traite d’une question expressément harmonisée par cette dernière ;
- Le décret aggrave le risque de confusion allégué en permettant l’utilisation des dénominations susvisées dans des langues étrangères, dont le champ d’application géographique est en outre imprécis ;
- Les sanctions prévues par le décret contre des manquements éventuels des entreprises concernées sont disproportionnées au regard du risque allégué ;
- Le décret est entaché de détournement de pouvoir dès lors que son adoption par le Gouvernement vise à mettre fin à la procédure préjudicielle engagée devant la CJUE, et procède à une méconnaissance de l’obligation de coopération loyale avec la CJUE dans le cadre d’une question préjudicielle.
Dans son ordonnance du 10 avril 2024, le juge des référés du Conseil d’Etat conclut à la réunion des conditions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative (i.e. un motif d’urgence et un doute sérieux quant à la légalité d’une décision), pour ordonner la suspension de ce décret.
En effet, ce dernier constate que :
- Il existe un doute sérieux quant à la possibilité d’adopter de telles mesures nationales au regard du règlement dit « INCO » (objet de la question préjudicielle posée à la CJUE en juillet dernier, et sur laquelle elle doit se prononcer prochainement) ; et
- Une interdiction à compter du 1er mai porterait une atteinte grave et immédiate aux intérêts des entreprises commercialisant ces produits étant donné que :
- Les entreprises françaises devraient renoncer à des dénominations telles que « steak végétal » ou « lardons végétaux », parfois utilisées de longue date et connues par les consommateurs ;
- Cette interdiction est susceptible (i) d’entraîner une baisse importante du chiffre d’affaires de deux entreprises requérantes, et (ii) d’induire également des coûts en raison des modifications à apporter en matière d’emballages/supports de vente et de stratégie commerciale, pouvant entraîner une cessation temporaire des ventes en l’attente des nouveaux emballages ;
- Leurs concurrents, qui fabriquent ce type de produits dans d’autres pays européens, pourront continuer à utiliser ces dénominations pour vendre leurs produits en France après le 1er mai ; et enfin,
- L’instruction n’a pas permis de démontrer que l’entrée en vigueur imminente de ce décret répondrait à des motifs d’intérêt public de nature à remettre en cause l’urgence invoquée par les entreprises concernées.
Les réponses de la CJUE aux questions préjudicielles posées par le Conseil d’Etat, sont donc très attendues…
Ce débat rappellera aux plus anciens le slogan Canada Dry des années 80 « Ça a la couleur de l’alcool, le goût de l’alcool… mais ce n’est pas de l’alcool ».
Affaire à suivre !
[1] Décret n° 2024-144 du 26 février 2024 relatif à l’utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales