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Dans une décision du 4 octobre 2023 (n°22-18105), la Cour de cassation s’est une nouvelle fois prononcée sur les conditions de recevabilité et de prise en compte d’une preuve illicite par le juge.

Pour mémoire, il convient de distinguer vidéoprotection – dont l’objet est la protection des personnes et des biens – et vidéosurveillance – dont l’objet est la surveillance des personnes, notamment les salariés. En l’espèce, un employeur avait utilisé un système de vidéoprotection comme système de vidéosurveillance afin de justifier une sanction prise à l’encontre d’un de ses salariés.

En l’occurrence, le salarié concerné avait fumé dans un local de son entreprise alors que cela était interdit pour des raisons de sécurité. Pour ce faire, il avait de surcroît abandonné son poste de travail pendant une durée anormale. L’employeur avait eu connaissance de ces faits en visionnant un enregistrement vidéo – issu d’une caméra installée dans ledit local – et mis à pied le salarié à titre disciplinaire. Ce dernier avait alors saisi la juridiction prud’hommale aux fins d’annulation de cette sanction disciplinaire. La question de la recevabilité de l’enregistrement vidéo comme mode de preuve du manquement du salarié s’est donc posée devant les juges.

La cour d’appel a estimé que l’enregistrement vidéo produit par l’employeur constituait une preuve illicite dans la mesure où les salariés avaient uniquement été informés que le système de vidéo dans l’entreprise (et donc dans le local concerné) avait été mis en place dans le but d’assurer la sécurité du personnel et des biens (vidéoprotection) et non de surveiller ledit personnel ni de contrôler ses horaires (vidéosurveillance). Le système contesté avait d’ailleurs été déclaré à la Cnil comme ayant une finalité de vidéo protection. La cour d’appel a donc jugé la preuve de l’employeur irrecevable et annulé la mise à pied disciplinaire qu’il avait prononcée.

L’employeur s’est pourvu en cassation en arguant de ce que le local était une salle de repos et qu’ainsi le système de vidéosurveillance ne pouvait être analysé comme permettant le contrôle de l’activité des salariés dans l’exercice de leurs fonctions. Par conséquence, l’employeur prétendait qu’il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir informé les salariés qu’ils étaient contrôlés par vidéosurveillance.

L’employeur arguait également de l’absence de mise en balance, par la cour d’appel, du droit à la preuve et des intérêts antinomiques en présence. Ce faisant l’employeur se situait sur la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle l’illicéité dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Ainsi, le « juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi » (notamment Cass, soc., 25 nov. 2020, 17-19523).

Mais encore faut-il que cette mise en balance ait été demandée aux juges du fonds par la partie qui argue du moyen de preuve illicite. Or, tel n’était pas le cas en l’occurrence.

Dans l’arrêt commenté, la chambre sociale de la Cour de cassation indique en premier lieu qu’il ne résultait ni de l’arrêt d’appel ni des pièces de la procédure que la société avait soutenu devant la cour d’appel que le rejet de la preuve illicite pouvait porter atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble. Elle écarte donc cet argument.

Ensuite, après avoir rappelé qu’aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance (art. L1222-4 c. trav.) et que la caméra qui avait fourni les enregistrements litigieux « permettait de filmer l’ensemble de la pièce et notamment le distributeur de boissons et les chaises et pas uniquement les entrées et sorties de et vers l’extérieur », ce qui constituait donc un système de surveillance des salariés, sans pourtant que ces derniers en aient été informés, la Cour de cassation confirme que la preuve a été obtenue de manière illicite et qu’elle était dès lors irrecevable.

Dans ce genre de situation les employeurs doivent donc penser à soutenir devant le juge que le rejet de la preuve illicite pourra porter atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble.

Avec la participation de Paola Auger

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