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TGI Paris, Ordonnance de référé, 24 janvier 2013, TWITTER c/Associations UEJF, J’ACCUSE, AIPJ

S’il est usuel aujourd’hui d’avoir un compte Twitter, les abus liés à la liberté d’expression exercés sur cette plateforme sont parfois difficiles à stopper et à poursuivre. La société mère située à San Francisco, les méandres des liens susceptibles de mener jusqu’à ce qui pourrait aider à former réclamation et le peu d’intérêt que cette société porte aux revendications qui peuvent lui parvenir en application de fondements légaux étrangers, ont souvent suffi à décourager les plaideurs.


A la suite d’une vague de messages à caractère injurieux, racistes et antisémites postés sur plusieurs comptes Twitter, des associations représentatives telles que l’UEJF, J’ACCUSE, AIPJ, le MRAP, SOS RACISME ont saisi le Tribunal de grande instance de Paris en référé afin, notamment, d’obtenir la communication des données d’identification des personnes ayant posté ces messages, cette demande étant formée au visa principal de l’article 6-II de la loi du 21 juin 2004 (LCEN) et subsidiairement celui de l’article 145 du Code de procédure civile.

L’ordonnance de référé fait droit à ces demandes sur le second fondement, en invoquant le motif légitime attaché aux mesures ordonnées.

La demande de communication des données de nature à permettre l’identification des auteurs de ces tweets se heurtait, au regard des dispositions de l’article 6.II de la LCEN à plusieurs éléments d’extranéité et au partage des rôles entre TWITTER Inc. et TWITTER France. Les contenus hébergés sont stockés par la première sur des serveurs situés aux Etats-Unis et elle est le destinataire habilité à recevoir les signalements relatifs aux contenus. TWITTER France n’a vocation qu’à jouer le rôle d’agence commerciale dans le cadre d’une mission de marketing.

Contestant être soumise à une obligation de conservation des données, TWITTER Inc. a relevé, à juste titre, que l’article 4 du décret pris en application de l’article susvisé (décret n° 2011-219 du 25 février 2011) exclut les traitements dont le responsable est établi en dehors du territoire français ou qui recourt à des moyens de traitement situés en dehors du territoire français. Les associations demanderesses rétorquaient que les moyens de traitement demeuraient localisés sur le territoire français (à l’exclusion de ceux qui ne sont utilisés qu’à des fins de transit) et que « le « groupe de l’article 29 » considère notamment les ordinateurs personnels, terminaux, serveurs mais aussi l’utilisation de cookies et de logiciels similaires comme tels ». Echec est fait à cet argument car TWITTER n’a pas recours aux cookies et stocke les données d’indentification des utilisateurs sur ses serveurs aux Etats-Unis.

Est également écarté le projet de règlement établi par la Commission Européenne le 25 juillet 2012. S’il prévoit une extension de la réglementation applicable au traitement des données à caractère personnel aux responsables de traitement qui ne sont pas établis dans l’Union pour les données qui concernent les personnes ressortissantes de l’Union, le Juge refuse de le promouvoir à un autre rang normatif que celui de projet et donc de le considérer comme faisant, à ce stade, partie du droit applicable.

A défaut pour les associations de démontrer que la société TWITTER Inc. est établie en France ou utilise, pour la conservation des données litigieuses, les moyens matériels ou humains de la société TWITTER France ou de toutes autres entités situées sur le territoire français autrement qu’à des fins de transit, le Juge considère ne pas disposer d’éléments suffisants pour ordonner les mesures sollicitées en référé au visa de l’article 6.II de la LCEN.

L’exclusion de l’application des dispositions de la loi du 21 juin 2004 conduit le Juge à examiner la demande qui lui est soumise sous le visa subsidiaire de l’article 145 du Code de procédure civile qui dispose que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

Le juge des référés rappelle, se référant à une jurisprudence de la Cour de cassation, que dans un litige international, la mise en œuvre de telles mesures est soumise à la loi française. Il note que les règles de TWITTER précisent que :

– les utilisateurs doivent accepter toutes « les lois locales concernant la conduite en ligne et le contenu acceptable » ;
– les utilisateurs sont justiciables de la loi pénale française dès lors que les contenus ont été diffusés sur le territoire français ;
– TWITTER ne conteste pas la compétence du juge des référés français ni l’illicéité des messages dès lors qu’il a été immédiatement fait droit à leur demande de suppression ;
– TWITTER reconnait par ailleurs détenir les données d’identification sans invoquer des motifs susceptibles de heurter la légitimité des motifs invoqués par ceux qui en demandent la communication.

Ces éléments suffisent à caractériser un motif légitime pour obtenir la communication des données d’identification.

Il est donc fait droit aux demandes de communication des données sur ce seul fondement selon un raisonnement prévisible sous ce visa : sans qu’il n’y ait à démontrer l’urgence ou l’absence de contestation sérieuse, elles sont ordonnées pour assurer la conservation, l’établissement et le recueil des preuves avant tout procès, dès lors que le procès est possible et son fondement suffisamment déterminé, et que la mesure d’instruction ne porte pas atteinte de manière illégitime aux droits et libertés fondamentaux d’autrui. Ce dernier point sera probablement celui discuté si l’ordonnance fait l’objet d’un recours.

Le juge était enfin saisi d’une demande visant à obtenir la mise en place d’un dispositif de signalement des contenus illicites. Le juge relève que TWITTER n’a pas mis en place un formulaire suffisamment accessible et visible pour permettre à toute personne de porter à la connaissance de TWITTER ces contenus.

En conséquence, le juge ordonne la mise en place d’un système plus simple et complet à la seule société TWITTER INC puisque cette fonction n’entre pas dans les attributions de la société française, cette mesure devant consister a minima dans la mise en place d’un onglet accessible depuis la page active.

Armelle FOURLON

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