Un fournisseur peut être condamné pour abus de position de dominante du fait des agissements fautifs de ses distributeurs
Dans une décision rendue le 19 janvier 2023, la Cour de Justice de l’Union Européenne (ci-après, la « CJUE ») retient qu’un fournisseur détenant une position dominante peut se voir imputer les agissements fautifs mis en œuvre par ses distributeurs sur le fondement de l’article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (ci-après, « TFUE »).
Dans cette affaire, l’autorité de la concurrence italienne a considéré que la société Unilever a abusé de sa position dominante sur le marché spécifique de la commercialisation des glaces en conditionnement individuels destinées à être consommées à l’extérieur. Cet abus découle du fait de l’imposition, par les distributeurs d’Unilever, de clauses d’exclusivité aux exploitants de points de vente. Ces clauses obligeaient ces derniers à s’approvisionner exclusivement en produits d’Unilever pour leurs besoins en glaces en conditionnements individuels, en contrepartie de remises et de commissions.
L’autorité de la concurrence italienne a par conséquent condamné Unilever à une amende de 60 668 580 euros sur le fondement de l’article 102 du TFUE.
A la suite de plusieurs recours qui se sont suivis, la dernière juridiction italienne saisie a décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE deux questions, dont celle portant sur les conditions dans lesquelles les agissements d’opérateurs économiques formellement autonomes et indépendants, à savoir des distributeurs, peuvent être imputés à un autre opérateur économique autonome et indépendant, à savoir le producteur des produits distribués par ceux-ci.
A cette question, la CJUE considère qu’un comportement abusif peut être imputé à une entreprise en position dominante, même lorsqu’il est matériellement mis en œuvre par un intermédiaire faisant partie du réseau de distribution en cause, s’il s’avère qu’il a été adopté conformément aux instructions spécifiques données par cette entreprise et, donc, s’il s’insère dans le cadre d’une politique décidée unilatéralement par l’entreprise dominante et à laquelle les distributeurs concernés sont tenus de se conformer.
Dans cette situation, étant donné que le comportement abusif a été décidé unilatéralement par l’entreprise en position dominante, cette dernière peut être considérée comme l’auteur de ce comportement et, donc, le cas échéant, comme la seule responsable de celui-ci aux fins de l’application de l’article 102 du TFUE.
Cela est notamment le cas lorsque ce comportement prend la forme de contrats-types, entièrement rédigés par l’entreprise en position dominante et contenant des clauses d’exclusivité au bénéfice des ses produits que les distributeurs sont tenus de faire signer aux exploitants de points de vente sans pouvoir les négocier et les amender.
Par cette position, la CJUE invite à une certaine prudence : la mise en œuvre d’une politique anticoncurrentielle décidée par un fournisseur en position dominante lui est imputable, sans même qu’il soit nécessaire de démontrer l’existence d’une unité économique au sens de l’article 102 du TFUE à laquelle les distributeurs font partie, ni l’existence d’un lien hiérarchique reposant sur une pluralité d’actes d’orientation adressés à ces distributeurs susceptibles d’influer sur leurs décisions de gestion de leurs activités respectives.