Une nouvelle décision qui facilite l’obtention de la réparation du préjudice concurrentiel par une victime d’une pratique anticoncurrentielle
Dans le cadre d’une question préjudicielle posée par une juridiction barcelonaise, la Cour de Justice de l’Union Européenne (la « CJUE ») s’est prononcée sur la possibilité pour une victime d’une infraction au droit de la concurrence d’engager une action en dommages et intérêts à l’encontre d’une filiale alors que c’est la seule société mère qui a été sanctionnée pour l’infraction en question.
En effet, entre 1997 et 1999, Sumal a acquis deux camions auprès de Mercedez Benz Trucks España, société filiale du groupe Daimler dont la société mère est Daimler.
Dans une décision rendue le 19 juillet 2016, la Commission européenne a condamné quinze fabricants de camions, dont Daimler, à hauteur de 2,93 milliards d’euros pour s’être entendus pendant quatorze ans sur les prix de vente des camions, ainsi que sur la possibilité de répercuter sur leurs acheteurs les coûts de mise en conformité avec les règles plus strictes en matière d’émissions.
Sumal a par la suite engagé une action en dommages et intérêts à l’encontre de Mercedez Benz Trucks España, la filiale de Daimler donc, afin d’obtenir réparation du dommage concurrentiel subi du fait de l’entente à laquelle Daimler avait pris part.
Par une décision du 23 janvier 2019, le tribunal de commerce de Barcelone a rejeté cette demande au motif que Daimler était seule visée par la décision de la Commission, et non Mercedez Benz Trucks España.
C’est dans ce contexte que la cour provinciale de Barcelone, saisie d’un appel contre cette décision, a décidé de surseoir à statuer afin de demander en substance à la CJUE si la théorie de l’unité économique en droit de la concurrence justifie ou non l’extension de la responsabilité de la société mère à sa filiale et, dans l’affirmative, sous quelles conditions.
Dans une décision rendue le 6 octobre 2021, la CJUE considère que « l’article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne doit être interprété en ce sens que la victime d’une pratique anticoncurrentielle d’une entreprise peut introduire une action en dommages et intérêts indifféremment contre une société mère qui a été sanctionnée par la Commission européenne au titre de cette pratique dans une décision ou contre une filiale de cette société qui n’est pas visée par cette décision, dès lors qu’elles constituent une unité économique ».
Pour constater l’existence de cette unité économique, la victime doit prouver les liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent la société mère et sa filiale ainsi que l’existence d’un lien concret entre l’activité économique de cette filiale et l’objet de l’infraction dont la société mère a été tenue responsable.
Très concrètement, dans le cadre de la présente affaire, il revient à Sumal de démontrer que l’accord anticoncurrentiel conclu par Daimler concerne les mêmes produits que ceux commercialisés par Mercedez Benz Truck España.
La CJUE précise toutefois que la société filiale concernée doit pouvoir utilement faire valoir ses droits de la défense en vue de démontrer qu’elle n’appartient pas à ladite entreprise. Elle peut également contester la réalité du comportement infractionnel allégué lorsqu’aucune décision n’a été adoptée par la Commission.