Utilisation de l’image des immeubles des domaines nationaux : les précisions du Conseil Constitutionnel
Conseil constitutionnel, décision n°2017-687, QPC du 2 février 2018
Le Conseil constitutionnel confirme que les dispositions de l’article L621-42 du Code du patrimoine, qui prévoient que « l’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent les domaines nationaux, sur tout support, est soumise à l’autorisation préalable du gestionnaire de la partie concernée du domaine national (…) » sont conformes à la Constitution.
Pour rappel, cette disposition avait été adoptée à la suite de l’arrêt rendu le 16 décembre 2015 par la Cour administrative d’appel de Nantes, qui avait jugé que l’utilisation à des fins commerciales de l’image du château de Chambord n’était pas soumise à autorisation
(CAA Nantes, 16 décembre 2015, n°12NT01190). La Cour avait estimé que faute d’usage privatif du domaine public, un tel usage ne pouvait être soumis aux dispositions de l’article L.2125-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, qui énonce que « toute occupation ou utilisation du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 donne lieu au paiement d’une redevance ».
La loi dite « Création » du 7 juillet 2016 avait donc introduit cet article L.621-42 dans le Code du patrimoine afin de renforcer la protection de l’image des immeubles appartenant aux domaines nationaux.
Cet article L.621-42 du Code du patrimoine dispose que :
« L’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent les domaines nationaux, sur tout support, est soumise à l’autorisation préalable du gestionnaire de la partie concernée du domaine national. Cette autorisation peut prendre la forme d’un acte unilatéral ou d’un contrat, assorti ou non de conditions financières.
La redevance tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l’autorisation.
L’autorisation mentionnée au premier alinéa n’est pas requise lorsque l’image est utilisée dans le cadre de l’exercice de missions de service public ou à des fins culturelles, artistiques, pédagogiques, d’enseignement, de recherche, d’information et d’illustration de l’actualité.
Un décret en Conseil d’Etat définit les modalités d’application du présent article ».
La liste des domaines nationaux a été définie par décret du 2 mai 2017 et introduite à l’article R621-98 du Code du patrimoine, et comprend le domaine de Chambord, le domaine du Louvre et des Tuileries, le domaine de Pau, le Château d’Angers, le Palais de l’Elysée et le Palais du Rhin.
Les associations Wikimedia France et la Quadrature du Net soutenaient l’inconstitutionnalité des dispositions de cet article, notamment car :
– elles ne seraient justifiées par aucun motif d’intérêt général et porteraient « une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre » ;
– elles porteraient atteinte au principe d’égalité devant la loi, « au motif que les auteurs de clichés pourraient, à la discrétion du gestionnaire du domaine, bénéficier ou non d’une autorisation et devoir acquitter ou non d’une redevance » ;
– le législateur n’aurait pas suffisamment précisé la portée des exceptions au principe de l’autorisation, ni encadré les conditions financières de cette autorisation.
Le Conseil constitutionnel rejette l’ensemble des griefs soutenus par les requérants :
– en premier lieu, les sages estiment que le législateur a poursuivi des objectifs d’intérêt général en adoptant ces dispositions qui visent à « protéger l’image des domaines nationaux afin d’éviter qu’il soit porté atteinte au caractère de biens présentant un lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation (…) » et « permettre la valorisation économique du patrimoine (…) » ;
– en second lieu, le Conseil constitutionnel précise que « l’autorisation préalable du gestionnaire du domaine national n’est pas requise lorsque l’image est utilisée à des fins commerciales et qu’est également poursuivie une finalité culturelle, artistique, pédagogique, d’enseignement, de recherche, d’information, d’illustration de l’actualité ou liée à l’exercice d’une mission de service public ». Ainsi, aucune autorisation n’est requise lorsqu’une société peut justifier que l’usage a certes une finalité commerciale, mais poursuit également l’une des finalités mentionnées à l’alinéa 3 de l’article ;
– d’autre part, le Conseil constitutionnel précise que le gestionnaire du domaine national ne pourra refuser d’accorder une telle autorisation « que si l’exploitation commerciale envisagée porte atteinte à l’image de ce bien ». Dans le cas contraire, l’autorisation devra obligatoirement être accordée « dans des conditions, le cas échéant financières, fixées par le gestionnaire du domaine national, sous le contrôle du juge » ;
– enfin, les juges constitutionnels estiment qu’il appartient aux autorités compétentes de veiller à ce que les exigences constitutionnelles et le principe d’égalité soient respectées, en tenant compte, pour fixer les conditions d’obtention de l’autorisation ainsi que, le cas échéant, le montant de la redevance, « des avantages de toute nature procurés au titulaire de l’autorisation ».
Ainsi, le Conseil constitutionnel rejette les arguments des requérants et conclut à la conformité des dispositions de l’article L.621-42 du Code du patrimoine à la Constitution, tout en apportant de précieuses précisions, notamment quant au champ des exceptions qu’il prévoit et aux conditions de refus de l’autorisation. Ainsi, Wikimedia pourra reproduire l’image d’immeubles appartenant aux domaines nationaux sur l’encyclopédie en ligne « Wikipedia », sans autorisation préalable, à la condition de pouvoir justifier d’une des finalités mentionnées à l’alinéa 3.