CEDH, 18 janvier 2018, Fédération nationale des associations et des syndicats sportifs (FNASS) et autres c/ France
Même si la lutte antidopage ne quitte jamais vraiment l’actualité sportive, les récents évènements impliquant la Russie – son exclusion des derniers jeux olympiques d’hiver ou, plus récemment, le contrôle positif du curleur russe Alexander Kruchelnitsky – ont remis au cœur des débats la question de l’efficacité des procédures en matière de lutte contre dopage. C’est dans ce contexte que la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée, le 18 janvier 2018, sur la conformité d’un système de géolocalisation mis en place par les autorités françaises dans le cadre de la lutte antidopage.
La réglementation à l’origine de la procédure devant la CEDH
Le Code du sport (articles L232-2 et suivants) permet à l’agence française de lutte contre le dopage (AFLD) de réaliser des contrôles antidopage inopinés. Pour la réalisation de ces contrôles, le code du sport impose à des sportifs désignés dans un « groupe cible » de communiquer à l’AFLD des informations permettant leur localisation.
Cette réglementation a été remise en cause, d’une part, à l’occasion de la prise d’une ordonnance le 14 avril 2010 dont l’objet était de mettre en conformité le code du sport avec les principes du code mondial antidopage. Plusieurs organismes sportifs, ainsi que des sportifs professionnels agissant à titre individuel, ont notamment invoqué une atteinte à la liberté d’aller et venir, au droit à une vie familiale normale et à la vie privée (ces dispositions permettant de réaliser des contrôles en dehors de toute manifestation sportive ou de toute période d’entrainement).
D’autre part, cette réglementation avait été contestée par la célèbre cycliste Jeannie Longo devant le Conseil d’Etat, qui rejeta ses demandes au motif que les dispositions relatives à l’obligation de localisation ne portent, s’agissant du droit au respect de la vie privée et familiale des sportifs concernés, que des atteintes nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis par la lutte antidopage, à savoir la protection de la santé des sportifs ainsi que la garantie de l’équité et de l’éthique des compétitions sportives.
L’ensemble de ces requérants ont alors porté cette question devant la CEDH.
La Cour applique dans cette décision un raisonnement classique en matière d’atteinte à une ou plusieurs libertés fondamentales. Elle va d’abord vérifier l’existence d’une atteinte à une liberté (1) avant d’analyser si cette ingérence peut se justifier sur le fondement d’une disposition légale et poursuit un but légitime (2) et si une telle atteinte respecte une double exigence de nécessité et de proportionnalité au but poursuivi (3).
(1) Une ingérence incontestable
La Cour relève que les sportifs du « groupe cible » sont contraints de fournir à une autorité publique des informations précises relatives à leurs lieux de résidence et à leurs déplacements quotidiens. A cela s’ajoute une obligation d’aménager un créneau quotidien avec une localisation précise pour réaliser le contrôle inopiné.
Ces obligations de transparence et de disponibilité réduisant l’autonomie personnelle, la Cour conclut que ces obligations portent atteinte à la vie privée des sportifs concernés.
(2) Une ingérence prévue par la loi et poursuivant un but légitime
Les obligations pesant sur les sportifs du « groupe cible » sont issues de délibérations de l’AFLD et les requérants ont soutenu que ces délibérations ne peuvent être considérées comme des « lois » car elles n’émanent pas d’une institution autorisée à édicter des règles accessibles et précises.
La Cour écarte cette argumentation au motif que l’AFLD est une autorité publique indépendante, que ces délibérations sont publiées au Journal officiel et revêtent la précision nécessaire pour permettre aux sportifs d’adapter leur conduite et de bénéficier d’une protection adéquate contre l’arbitraire.
Enfin, la Cour conclut à l’existence du but légitime en considérant que ces obligations ont pour objectif la protection de la santé, aussi bien des sportifs professionnels que des sportifs amateurs, et la loyauté des compétitions sportives, au titre de la protection des droits et libertés d’autrui puisque le dopage fausse les compétitions sportives pour le participant qui n’y recourt pas et prive le spectateur d’une compétition loyale.
(3) Nécessité et proportionnalité de l’ingérence en cause
La nécessité de l’ingérence en cause est constatée par la Cour du fait d’un vaste consensus européen et mondial sur les dangers du dopage pour l’organisme des sportifs professionnels et de son influence néfaste sur la communauté sportive, rendant nécessaires les contrôles inopinés pour conduire la lutte antidopage.
Enfin, la Cour estime que l’existence d’un cadre légal garantit les droits des sportifs, que l’efficacité des mesures en cause ne peut être assurée que par ces obligations et que la localisation éventuelle au domicile d’un sportif se fait à sa demande et selon une plage horaire déterminée. Par ces motifs, la Cour considère que les mesures en cause présentent la proportionnalité nécessaire.
La Cour déclare donc que les mesures en cause ménagent un juste équilibre entre les intérêts en présence et ne portent pas atteinte à la Convention.