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CA Paris Pôle 5, Ch. 2, 26 février 2021, n°19-15.130

Ironie, Indulgence, Belle, Byzance et Idylle. Voici l’appellation de cinq modèles de robes de mariées qui ont fait l’objet d’un contentieux relatif à l’étendue d’une cession de droits de propriété intellectuelle lors d’une cession d’un fonds de commerce. Par un arrêt du 26 février 2021, la cour d’appel de Paris retient que les droits avaient bien été transmis au cessionnaire malgré une formulation assez sommaire du contenu de la cession.

Fondée en 1975 par trois sœurs, la maison Cymbeline est spécialisée dans la création et la vente de robes de mariées et d’accessoires de mariage. Après quatre décennies de présence dans plus de cinquante pays, le tribunal de commerce de Melun ouvre en 2014 une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société gérant l’activité de la maison de couture. Par jugement du 15 décembre 2014, ce même tribunal arrête un plan de cession du fonds de commerce de la société au profit d’une société cessionnaire. L’acte de cession de fonds de commerce comprend notamment la reprise d’une liste de marques, les droits de propriété intellectuelle attachés aux dessins et modèles, déposés ou non, et les patrons des robes créées par les anciens stylistes de la maison.

A la suite de la reprise du fonds de commerce, les trois sœurs fondatrices se relancent dans une nouvelle activité entrepreneuriale dans le secteur des robes de mariées. La société cessionnaire du fonds de commerce estimant subir des actes de concurrence déloyale, les assigne en justice. L’une des fondatrices forme à cette occasion une demande reconventionnelle en contrefaçon de droits d’auteurs sur des modèles de robes figurant au catalogue de la société cessionnaire. En effet, selon elle, ces modèles ne figuraient pas dans le périmètre de la cession du fonds de commerce.

Saisi de cette demande reconventionnelle, le tribunal de grande instance de Paris déclare, le 16 mai 2019, la demanderesse irrecevable à agir sur le fondement des droits d’auteur, au motif qu’elle ne justifie pas de la qualité d’auteur des modèles, ces derniers ayant été dévoilés sous le nom de la maison de couture et pas sous son nom propre.

La demanderesse interjette appel de ce jugement.

Par un arrêt du 26 février 2021, la cour d’appel de Paris infirme le jugement de première instance et retient que l’appelante est bien l’auteur des créations en cause, et donc, recevable à agir sur le fondement des droits d’auteur, quand bien même ces créations avaient été divulguées sous le nom de la maison de couture.

Toutefois, l’appelante est déboutée de son action en contrefaçon.

Pour les juges du fond, si l’appelante n’était certes plus salariée de la société au moment de la création des cinq modèles de robe, elle en était demeurée actionnaire. Or, au titre du pacte d’actionnaires que l’appelante avait signé, celle-ci s’était engagée à ne pas revendiquer de droits de propriété intellectuelle sur les créations nécessaires ou utiles à l’activité de la société, lui cédant ainsi la titularité des droits patrimoniaux sur les modèles.

Dès lors, en vertu de l’acte de cession de fonds de commerce intervenu en mai 2015, la société cessionnaire a acquis l’ensemble des droits de propriété intellectuelle attachés aux dessins et modèles et aux patrons de la maison, incluant donc les cinq modèles contestés. Par conséquent, la cour d’appel estime que l’exploitation de ces modèles par la société cessionnaire, en suite de la société cédante, ne constitue pas une atteinte portée aux droits patrimoniaux d’auteur de l’appelante.

Pour autant, les prétentions de la styliste ne sont pas totalement écartées. En effet, la cour considère qu’en commercialisant les robes en cause en l’absence de mention du nom de leur créatrice, la société cessionnaire a porté atteinte au droit moral de la styliste. A ce titre et sur le fondement de l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI), la cour condamne l’intimée à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Du point de vue du droit d’auteur, la solution apportée par l’arrêt d’appel interpelle. En effet, le premier alinéa de l’article L. 131-3 du CPI dispose que l’acte de cession des droits de l’auteur doit identifier précisément l’œuvre concernée et délimiter les droits cédés, quant à leur étendue, leur durée, leur destination (modes d’exploitation autorisés), et leur territoire. Par ailleurs, le code de la propriété intellectuelle fait obligation d’interpréter restrictivement les clauses contractuelles, in favorem auctoris : dans le doute, le contrat doit être interprété en faveur de l’auteur, ce qui n’est pas expressément cédé est conservé par l’auteur et toute cession expresse s’interprète restrictivement.

En l’espèce, le pacte d’actionnaire prévoyait une cession « de l’ensemble des droits de propriété intellectuelle » ; en dépit de ces termes très généraux, la cour d’appel estime que l’acte valait bien transmission des droits patrimoniaux de l’auteur.

Cet arrêt adopte donc une approche très souple sur les conditions de validité d’une cession de droits des droits de propriété intellectuelle consentie au profit de la société dans le cadre d’un pacte d’actionnaires. Dans l’attente d’une éventuelle prise de position de la Cour de cassation, les parties devront rester vigilantes quant au contenu et à la portée de la cession consentie dans un pacte d’actionnaire, au risque, comme en l’espèce, de vivre des noces rebelles.

Samuel BRAMI

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