Les deux ordonnances de référé ici commentées ont fait injonction à deux sites internet de retirer de la vente des tickets de spectacles pour lesquels aucune autorisation n’avait été préalablement obtenue. Ces deux décisions sont les premières à appliquer l’article 313-6-2 du Code pénal, instauré par la loi du 12 mars 2012 tendant à faciliter l’organisation des manifestations sportives et culturelles..
L’article 313-6-2 du Code Pénal prohibe en effet le fait de vendre « de manière habituelle » des billets pour des manifestations culturelles et sportives sans autorisation expresse du producteur, de l’organisateur ou du propriétaire des droits d’exploitation. Cet acte est sanctionné de 15 000€ d’amende et de 30 000€ en cas de récidive.
Avant l’adoption de ce texte, les dispositions utilisées afin de réprimer ce type d’agissements étaient issues de la loi du 27 juin 1919 portant répression du trafic des billets de théâtre et dont l’article 1er interdit de faire un bénéfice sur la revente de billets des seuls spectacles subventionnés par des fonds publics. Cette loi avait notamment été utilisée afin que soit ordonné le retrait de tickets du festival des Vieilles Charrues vendus sur le site viagogo.fr (TGI Brest, ordonnance de référé, 11 juillet 2011 confirmée par CA Rennes, 6 novembre 2012 et voir article Netcom 2011).
Si ce site web est à nouveau impliqué dans la seconde espèce, la première ordonnance ayant appliqué les nouvelles dispositions du Code pénal a été rendue à l’encontre de la société Yamson Event.
Les sociétés Nous et TS3, producteurs de concerts et spectacles d’artistes, ont en effet relevé que le site ticket-concert.com, édité par la société Yamson Event, proposait à la vente des billets de spectacles qu’elles produisent. Ces sociétés ont donc assigné Yamson Event en référé devant le Tribunal de Commerce de Nanterre afin qu’il lui soit ordonné de retirer de son site tout contenu relatif aux concerts évoqués, sous astreinte de 2000€ par jour de retard et par offre illicite. Les deux sociétés demandaient en outre la publication judiciaire du dispositif de l’ordonnance sur la page d’accueil du site pendant 3 mois.
Pour sa défense, Yamson Event mettait en avant le fait que ces nouvelles dispositions légales ont poussé tous les sites internet de vente en ligne de billets de concerts à se délocaliser aux Etats-Unis, et que contrairement à ses concurrents cette société a fait le choix de maintenir son site en France. D’autre part, Yamson Event a prétendu que la nouvelle loi de 2012 ne pourrait lui être appliquée dès lors qu’elle agissait comme mandataire des producteurs. Pour tenter de démontrer cette qualité de mandataire, la société faisait valoir qu’elle achetait les billets auprès des producteurs pour le compte des clients du site. Enfin, Yamson Event invoquait également le statut d’une agence de voyage enregistrée au registre des opérateurs de voyage et de séjours, et non celui d’un « revendeur » de tickets de concerts.
Cet argumentaire ne convainc pas le juge qui relève que l’activité de Yamson renseignée dans son K-bis réside dans « la vente de billets de spectacles et de manifestations sportives et tous autres événements de divertissement ». De plus, la défenderesse n’apporte aucun élément tendant à prouver une activité d’agence de voyages. Elle ne prouve pas davantage une quelconque activité de mandataire des producteurs.
Ainsi l’ordonnance de référé conclut qu’il est évident que la société Yamson a enfreint à plusieurs reprises les dispositions de l’article 313-6-2 du Code pénal. Il lui est donc ordonné de retirer tout contenu relatif aux billets des concerts visés, dans les 24 heures de la signification de l’ordonnance, sous astreinte de 1000€ par jour de retard. La société est de plus condamnée à publier le dispositif de l’ordonnance sur la page d’accueil de son site pendant une durée de 3 mois sans interruption.
Une semaine après cette décision, le Tribunal de Commerce de Paris a rendu une ordonnance de référé appliquant à nouveau l’article 313-6-2 du Code pénal afin d’enjoindre à un site internet de retirer les tickets de concerts proposés à la vente.
Si les acteurs sont ici différents, le cas d’espèce est similaire : des billets de concerts étaient vendus sur le site viagogo.fr sans autorisation de leurs organisateurs ni de leurs producteurs. Ces derniers demandaient au Tribunal de Commerce de Paris, statuant en référé, d’ordonner le retrait des billets de concerts du site viagogo.fr et de condamner la société de droit américain Viagogo à publier le dispositif de l’ordonnance sur son site internet.
Viagogo soulevait d’abord l’incompétence territoriale du juge, étant domiciliée au Etats-Unis et ne disposant d’aucun établissement en France. Mais le juge retient, en application de l’article 45 du Code de procédure civile, que cette exception d’incompétence est mal fondée car il existe un « lien substantiel et significatif entre les faits et actes dommageables allégués et le territoire français ».
Viagogo développait ensuite une argumentation s’appuyant sur le fait que, selon elle, les dispositions de l’article 313-6-2 du Code pénal ne s’appliquent qu’aux éditeurs de sites internet, alors qu’elle revendiquait au contraire la qualité d’hébergeur au sens de la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN) du 21 juin 2004. Le service proposé ne permettrait selon elle que de mettre en relation vendeurs (annonceurs) et acheteurs de billets.
Le juge des référés admet que l’argumentation de Viagogo sur le statut d’hébergeur constitue une contestation sérieuse dont l’examen excède les pouvoirs du juge des référés. Mais, il poursuit en rappelant qu’en application de l’article 873 du Code de procédure civile, « le président du tribunal de commerce peut, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires qui s’imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite ». Il relève également que la rédaction de l’article 313-6-2 du Code pénal est très générale et que rien de permet d’en déduire qu’il ne serait pas applicable aux sites internet qui ont le statut d’hébergeur.
S’agissant de l’application de l’article 313-6-2 du Code pénal, l’ordonnance retient qu’en tout état de cause Viagogo ne prouve pas que les annonceurs seraient autorisés à vendre les billets litigieux, ni qu’ils ne se livreraient à ces ventes qu’occasionnellement.
Se fondant sur l’article 873 du Code de procédure civile et retenant l’existence d’un trouble manifestement illicite, l’ordonnance ordonne le retrait du site viagogo.fr de toute offre relative à la vente des billets des concerts ou spectacles produits par les demanderesses, sous astreinte de 1000€ par jour de retard. Dans cette seconde espèce, il n’est en revanche pas fait droit à la demande de publication de la décision sur le site, le juge saisi considérant qu’une telle publication excède les pouvoirs du juge des référés.
Nicolas JAVRE